Un arrêt de la Cour suprême du Canada confirme le pouvoir d’approuver une entente de financement de litige pour assurer financement provisoire
Dans une décision unanime rendue le 23 janvier 2020, dont nous exposerons les motifs ci‑après, la Cour suprême du Canada a accepté d’entendre l’appel interjeté contre la décision rendue par la Cour d’appel du Québec dans 9354-9186 Québec Inc. c. Callidus Capital Corporation[1] et accordé une charge superprioritaire sur les produits d’une réclamation. Cette décision confirmait qu’un tribunal saisi d’une affaire agissant en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C‑36 (LACC) a le pouvoir d’approuver une entente de financement de litige en dehors du cadre d’un plan d’arrangement officiel. La Cour suprême a rétabli la décision rendue par le juge de la LACC Jean‑François Michaud[2], qui avait approuvé une entente de financement de litige entre les débiteurs et un financier de litiges, lui permettant ainsi d’intenter une action en dommages contre un de ses créanciers.
Contexte
Les appelants 9354-9186 Québec Inc. et autres (Bluberi) sont spécialisés dans les appareils de jeux de hasard électroniques. En 2012, Bluberi a conclu une entente de prêt avec l’intimée Callidus Capital Corporation (Callidus), qui lui a prêté environ 86 millions de dollars sous forme de facilités de crédit entre 2012 et 2015. D’après Bluberi, Callidus était en grande partie responsable de ses difficultés financières qui ont suivi.
En 2015, Bluberi a présenté une requête en délivrance d’une ordonnance initiale en vertu de la LACC. Sa requête a été accueillie en Cour supérieure. Par la suite, Bluberi a été autorisée à vendre tous ses actifs à Callidus, transaction réglée au moyen d’une réduction de la dette envers Callidus. L’achat a éteint la créance garantie de Callidus vis-à-vis de Bluberi à l’exception de trois millions de dollars non libérés. Bluberi a également conservé son droit d’intenter une poursuite contre Callidus.
En 2017, Bluberi a demandé au tribunal de rendre les ordonnances nécessaires pour permettre le financement de son action en dommages contre Callidus. De son côté, Callidus a demandé la tenue d’une assemblée des créanciers pour proposer un plan d’arrangement. Le plan de Callidus, qui prévoyait la distribution d’environ 2,6 millions de dollars aux créanciers en contrepartie d’une quittance complète et définitive en sa faveur, a été soumis au vote. Toutefois, le taux d’approbation exigé en vertu de l’article 6 de la LACC, soit les deux tiers en valeur des créances, n’a pas été atteint.
Par la suite, Bluberi a demandé l’autorisation de conclure une entente de financement de litige avec les appelants Bentham IMF. Pour sa part, Callidus a déposé une requête en vue de tenir une nouvelle assemblée des créanciers pour y soumettre au vote son nouveau plan d’arrangement. Cette fois, Callidus a annoncé son intention d’attribuer une valeur nulle à sa sûreté de trois millions de dollars pour exercer son droit de vote à titre de créancier non garanti.
Ernst & Young Inc. agissait comme contrôleur nommé par le tribunal auprès de Bluberi. Ce cabinet a fourni au juge de la LACC des rapports et des recommandations concernant toutes les étapes clés de la restructuration, notamment le processus de vente, la transaction de vente, le plan d’arrangement initial de Callidus et, à terme, l’approbation de l’entente de financement de litige proposée. Son quinzième rapport renfermait une analyse en cascade confidentielle simulant la distribution des produits de la vente en vertu de l’entente de financement de litige en question en fonction de diverses issues de la poursuite proposée contre Callidus.
La Cour d’appel du Québec a conclu que l’entente de financement de litige contestée constituait un « plan d’arrangement » et que, par voie de conséquence, elle devait être approuvée par la majorité des créanciers prévue par la loi et ensuite par la Cour. À cet égard, la Cour d’appel du Québec semblait se distancier de la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans Crystallex[3] en affirmant (au paragraphe 85) :
[Traduction] « Je ne souscris pas à une définition restrictive de ce qui constitue un arrangement. Aucune disposition de la loi ne justifie cette opinion. D’ailleurs, rien dans la pratique ou dans la jurisprudence ne la corrobore systématiquement. Il faut interpréter ce terme dans un sens large cadrant avec la réparation visée par la LACC. Un arrangement ou une proposition peut prévoir une transaction sur les réclamations des créanciers et le processus engagé pour les régler. »
Points soumis à la Cour
Il est difficile de savoir si la Cour se penchera sur tous les points se rapportant au droit de vote de Callidus, notamment la classification des créanciers, la portée de l’expression « parties liées » figurant au paragraphe 4(2) et à l’alinéa 4(3)c) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI) ainsi que le recours à la doctrine du « but illégitime ». Chaque point peut avoir une incidence profonde.
- Absence d’intérêts communs : Callidus a cherché 1) à attribuer une valeur nulle à sa sûreté; 2) à participer au vote dans la même catégorie que les autres créanciers non garantis; et 3) à renoncer à son dividende en vertu du plan proposé pour obtenir, en contrepartie, une quittance de la réclamation de Bluberi. De toute évidence, Callidus souhaitait obtenir une quittance au moindre coût possible, tandis que les créanciers non garantis voulaient maximiser leur remboursement. La Cour suprême a été priée de déterminer si Callidus avait suffisamment d’intérêts communs avec les autres créanciers non garantis pour être autorisée à participer au vote dans la même catégorie.
- Partie liée : Un créancier est lié au débiteur en vertu du paragraphe 22(3) de la LAAC s’il s’agit de « personnes liées » au sens de l’article 4 de la LFI. Un créancier « lié » au débiteur n’a pas le droit de participer au vote portant sur un plan d’arrangement. Callidus avait reçu comme gage toutes les actions de Bluberi, ce qui soulevait la question de savoir si elle était « liée » à Bluberi. Dans l’affirmative, Callidus n’aurait pas le droit de participer au vote sur le plan d’arrangement proposé.
- Application appropriée de la doctrine du but illégitime : Le juge Michaud a exercé son pouvoir discrétionnaire pour retirer à Callidus le droit de vote sur son propre plan, car le comportement de cette dernière était contraire [traduction] « à l’opportunité, à la bonne foi et à la diligence, qui sont des considérations de base que le tribunal devrait toujours garder à l’esprit dans l’exercice des pouvoirs conférés par la LACC[4]». Il faut déterminer si le pouvoir discrétionnaire résiduel conféré aux tribunaux chargés d’appliquer la LACC a été exercé à bon escient pour trouver un « but illégitime ».
En attendant de connaître les motifs invoqués par la Cour suprême, nous savons d’emblée que les tribunaux chargés d’appliquer la LACC ont le pouvoir d’approuver une entente de financement de litige en dehors du cadre d’un plan d’arrangement officiel. Il s’agit d’une décision importante, car elle renforce le recours au financement de litiges dans un contexte d’insolvabilité et confirme que le juge de la LACC a le pouvoir discrétionnaire de déterminer si une entente de financement de litige devrait être soumise au vote des créanciers. En outre, c’était la première fois que le plus haut tribunal du pays se penchait sur le financement des litiges dans quelque contexte que ce soit. Puisqu’elle a renversé la décision de la Cour d’appel du Québec et rétabli les conclusions du juge de la LACC, la Cour suprême du Canada reverra certainement aussi l’affaire Crystallex, dans laquelle la Cour d’appel de l’Ontario a considéré que la question en jeu était la portée du financement que le juge saisi de l’affaire pourrait ou devrait approuver sans l’aval des créanciers. Sur ce point, on s’attend à ce que la Cour suprême s’aligne sur le raisonnement suivi dans Crystallex et qu’elle limite la définition de la notion de « plan d’arrangement » sans y englober la transaction portant sur les réclamations des créanciers ni le processus engagé pour les régler. Lors des plaidoiries, la Cour suprême du Canada a souligné que le juge de la LACC n’avait pas expressément pris en compte l’analyse des facteurs énoncés au paragraphe 11.2(4) de la LACC, mais que les éléments de preuve pris en compte par ce juge étaient néanmoins suffisants pour approuver une charge superprioritaire en faveur de l’entreprise finançant le litige.
[1] Arrangement relatif à 9354-9186 Québec inc. (Bluberi Gaming Technologies Inc.), 2019 QCCA 171.
[2] Arrangement relatif à 9354-9186 Québec inc. (Bluberi Gaming Technologies Inc.) -and- Ernst & Young Inc., 2018 QCCS 1040.
[3] Crystallex, 2012 ONCA 404.
[4] Ibid, par. 48.