Articles de fond de la revue Rebuilding Success - Printemps/Été 2023 > Les impacts de la COVID-19 sur le système de faillite et d’insolvabilité au Québec sur le MPME
Les impacts de la COVID-19 sur le système de faillite et d’insolvabilité au Québec sur le MPME
Professeure titulaire Aurore Benadiba, LL.D., Université Laval
La pandémie liée à la COVID-19 a un impact économique et social important sur la situation de nombreuse micro, petites et moyennes entreprises (ci-après « MPME ») au Québec et dans l’ensemble du Canada. Les travaux actuels de la professeure Aurore Benadiba visent à évaluer les conditions de réhabilitation économique et sociale des micro, petites et moyennes entreprises canadiennes.
Les MPME représentent près de 99,7 % des 241 000 entreprises existantes au Québec (Gouvernement du Canada, janvier 2019). Elles jouent un rôle essentiel dans l’économie de la province, comme moteur de croissance et de création d’emploi. Elles représentent une très grande partie des emplois au Québec dans les plusieurs secteurs d’activités notamment : agriculture, foresterie, pêche et chasse; commerce de gros et de détail; construction et fabrication; transport et entreposage; services immobiliers; services professionnels et scientifique; services de santé et assistance sociale; hébergement et restauration, et autres services.
La pandémie liée à la COVID-19 a fragilisé de nombreuses MPME québécoises dont certaines ont dû fermer définitivement leurs portes. Un grand nombre de ces entreprises, déjà en difficulté financière avant la pandémie, ont eu besoin d’un financement supplémentaire pour régler les loyers, les frais fixes, les salaires, le remboursement des dettes contractées. À cela se sont ajoutés des frais additionnels liés à la situation sanitaire comme les intérêts liés aux nombreux emprunts bancaires, personnels et hypothécaires, contractés durant la crise.
Les premiers effets négatifs « post-pandémique » sur l’état de solvabilité des MPME commencent tout juste à être visibles puisque les programmes d’aide gouvernementaux ont pris fin, même si la date limite de remboursement des prêts de 60 000$ accordés à 900 000 entreprises en vertu du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC) a été repoussée au mois de décembre 2023. Les syndics autorisés en insolvabilité font face à une poussée de nouvelles demandes de réhabilitation dont le nombre augmentera certainement durant l’année 2023. La reprise des dépôts de dossier d’insolvabilité est visible. Vraisemblablement une partie de ces dossiers, difficilement quantifiable, aurait pu être déposée avant la pandémie. La crise a peut-être augmenté le temps de survie de certaines MPME maintenues artificiellement pendant la Covid-19. Après plus de deux ans de pandémie, un grand nombre d’entreprises se trouvent dans une situation précaire en raison de plusieurs facteurs apparents : un modèle d’affaire inadapté, une augmentation des coûts d’exploitation, une main d’œuvre limitée. Bon nombre n’ont pas retrouvé leur niveau de vente pré-pandémie. L’énergie des entrepreneurs est mise à l’épreuve du fait de ces difficultés persistantes.
Ainsi, la crise sanitaire conduit les juristes à repenser le système de l’insolvabilité commerciale et même personnelle face à une crise financière, pour une meilleure effectivité des droits des individus, des entreprises et des créanciers.
Nos travaux actuels visent à évaluer les conditions de réhabilitation économique et sociale des micros, petites et moyennes entreprises au Québec et, plus généralement, au Canada, dans un contexte de pandémie liée à la Covid-19. Cette première étude ciblant le Québec sera ensuite étendue aux autres provinces canadiennes.
Parmi les objectifs visés, nos recherches tendent à identifier les formes d’endettement et les difficultés d’accès au système légal d’insolvabilité pour les MPME québécoises en raison de la crise sanitaire. Les changements de pratiques légales comme les évaluations avec les débiteurs, les assemblées de créanciers à distance, les auditions devant les tribunaux en mode virtuel ont permis aux entrepreneurs de voir leurs dossiers suivre leur cours au moyen d’un aménagement des modes traditionnels. Ces nouveaux modes de gestion devraient-ils se maintenir au choix des protagonistes ?
Il sera aussi utile de documenter le traitement des dossiers de proposition concordataire et de faillite des MPME, selon les secteurs d’activités touchés par la pandémie. Par ailleurs, l’accès à une procédure de faillite a un coût que de nombreux débiteurs n’ont pu ou ne peuvent assumer en raison de la conjoncture économique. Au Québec, des fermetures d’établissement ont été préférées à des procédures de faillite, est-ce dire que des procédures simplifiées de faillite ou de propositions commerciales (en terme de formalisme, de délai et de coût) devraient être instaurées dans le système légal canadien ?
Un autre objectif de cette étude sera de décrire les causes de l’insolvabilité, les besoins des MPME endettées et d’expliquer les spécificités des profils des MPME insolvables dans un contexte de pandémie. Il est vrai que l’inflation, les difficultés des chaînes d’approvisionnement, l’augmentation de certaines matières premières et les répercussions du conflit en Ukraine ont ajouté une dose de complexité dans les échanges économiques à l’échelle mondiale. La récession au Canada aura aussi un impact à rebond sur l’ensemble des effets négatifs de la Covid-19 déjà constatés sur les MPME.
L’observation des pratiques professionnelles des syndics autorisés en insolvabilité travaillant dans un contexte économique affaibli, par la Covid-19 et par la récession annoncée, sera un des atouts de cette étude inédite menée par la professeure Benadiba, comportant aussi un volet empirique. En effet, des entrevues sont menées auprès des syndics lesquels, sur une base volontaire, confidentielle et anonyme, apportent des éléments de réponse de tout premier plan. Les associations coopératives d’économie familiale (ACEF) seront aussi interrogées sur les questions d’endettement et d’accès aux procédures d’insolvabilité des MPME face à une crise de liquidités. D’autres volets seront aussi abordés comme l’accès au crédit facile et l’éducation financière.
Cette recherche, qui a bénéficié d’une subvention CRSH et du soutien de la fondation du Barreau du Québec, vise à contribuer à un savoir hybride, à la fois académique et professionnel, afin de répondre aux préoccupations financières des débiteurs, ayant un état d’endettement élevé. La compilation des données pourra être diffusée sous forme d’article et de table ronde.
Les résultats s’ajouteront aux discussions juridiques portant tant sur la prochaine réforme du droit de l’insolvabilité et la faillite que sur la thématique de la vulnérabilité des individus et des entreprises en cas de crise systémique.
La recherche suit actuellement son cours, la participation des syndics autorisés en insolvabilité est encouragée à l’échelle du Canada : aurore.benadiba@fd.ulaval.ca
Lorsque les résultats seront disponibles, nous ferons un résumé et communiquerons un lien permettant de les consulter.