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La plus belle profession du secteur financier
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Par Andrew Flynn
Le public a longtemps eu une image indûment négative des professionnels et professionnelles de l’insolvabilité et de la restructuration, percevant à tort la faillite comme une honte, la pire situation financière dans laquelle une personne ou une entreprise puisse se trouver ou un échec qui peut entacher les perspectives d’avenir et la réputation.
Pourtant, toute personne travaillant dans la profession peut attester que ces idées sont ridiculement loin de la vérité. Le domaine est décrit comme offrant une immense variété et peut amener les professionnels à côtoyer les membres d’un conseil d’administration un jour et des éleveurs le lendemain. Ce travail à la fois humain et complexe sur le plan technique nécessite beaucoup de doigté et une compréhension profonde de la finance et du droit.
Pour Crystal Buhler, CPA, CGA, PAIR, SAI, présidente de C. Buhler & Associates ltée, un cabinet spécialisé situé à Brandon (au Manitoba), le travail en insolvabilité commence avant tout par l’établissement d’un lien humain.
« L’objectif est de tisser des liens avec les gens et d’améliorer leur situation, explique-t-elle. En comptabilité, ce n’est pas facile d’y arriver. »
Mme Buhler, qui a obtenu le titre de comptable générale accréditée (CGA) en 2004, est devenue syndique en 2011. Elle a travaillé pour Keith G. Collins ltée de 2004 à 2010, ainsi que pour MNP de 2010 à 2014, exclusivement dans le domaine de l’insolvabilité, puis de 2014 à 2016 dans les domaines de l’insolvabilité et de la fiscalité. Elle est retournée au sein de Keith G. Collins ltée de 2016 à 2019 avant d’ouvrir son propre cabinet en 2019.
À ses yeux, le travail en tant que syndic autorisé en insolvabilité (SAI) est particulièrement gratifiant sur le plan personnel. Selon Mme Buhler, le travail de professionnel de l’insolvabilité comporte une dimension supplémentaire : le « facteur humain », qui le distingue des autres professions du secteur.
« Notre travail peut changer les choses dans la vie de chaque client ou cliente, même dans celle des personnes qui sont très stoïques et refusent d’admettre que leur situation les perturbe ou est lourde à porter. Ce sont même souvent ces personnes qui nous envoient un courriel un an ou deux plus tard, prenant le temps de nous remercier pour tout ce que nous avons fait pour elles. »
Un joyau caché du secteur financier
Bien des personnes seront surprises d’apprendre que des professionnels de l’insolvabilité et de la restructuration considèrent leur emploi comme un joyau caché du secteur financier. À leur avis, le secteur de l’insolvabilité offre toutes sortes d’occasions et d’expériences totalement uniques.
« C’est un travail tellement passionnant », affirme Mme Michelle Grant, PAIR, SAI, associée et leader nationale, Transactions ‒ Énergie, services publics, mines et produits industriels à PricewaterhouseCoopers (PwC) Canada. « Nous y prenons plaisir. Beaucoup de choses nous tiennent à cœur. Nous avons à cœur le droit. Nous avons à cœur l’issue des dossiers. Nous avons à cœur la perception qu’ont les gens de notre travail. »
Après 23 ans dans le secteur, Mme Grant comprend comment les personnes peu familières avec son travail peuvent continuer à s’en faire une image négative. Comme beaucoup d’autres professionnels dans le milieu, elle a atterri dans le domaine de l’insolvabilité plus ou moins par hasard, ne connaissant pas grand-chose aux débouchés possibles, mais elle s’y est tellement plu qu’elle ne l’a jamais quitté.
Après avoir obtenu son baccalauréat en commerce (avec mention) à l’Université Queen’s, Mme Grant voulait devenir banquière d’affaires. Les entrevues de recrutement qui ont suivi l’obtention de son diplôme l’ont mené à découvrir le domaine de la restructuration d’entreprises, qui lui a paru intéressant. Elle a vite réalisé que c’était fait pour elle.
« À mes yeux, notre profession est vraiment merveilleuse. J’ai beaucoup de chance d’être tombée dessus par hasard et je suis incroyablement reconnaissante de l’occasion qui m’a été confiée, affirme Mme Grant. J’y resterai jusqu’à la fin de ma carrière, c’est certain. »
De nouvelles expériences et de nouveaux défis à relever
Basée à Vancouver, Mme Grant offre des services dans les domaines de l’insolvabilité des entreprises, de la restructuration, ainsi que de la fusion et de l’acquisition d’entreprises en difficulté. Ses fonctions l’ont amené à travailler sur des redressements d’entreprise, des activités de surveillance sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) et des mises sous séquestre dans des secteurs d’activité très variés, comme l’agriculture, l’alimentation, la fabrication, les mines et les métaux, l’immobilier, la technologie et le transport.
« Lorsqu’il est bien fait, notre travail peut avoir de très grandes retombées, affirme-t-elle. Il me passionne et c’est pourquoi je continue à l’exercer. Je fêterai mes 23 ans de carrière en septembre. »
Selon elle, une aventure n’attend pas l’autre pour mettre à l’épreuve les professionnels aguerris et maintenir leur intérêt. « Il y a quelques mois, pour la première fois de ma carrière, j’ai travaillé sur un conflit très délicat entre actionnaires d’une entreprise solvable, ce qui est plutôt rare en temps normal. »
« J’ai dû faire appel à des compétences différentes, mais le concept était le même. J’ai eu à enfiler le chapeau de médiatrice pour tempérer le climat. Ce fut une expérience très enrichissante. En ce moment, je travaille sur une mise sous séquestre qui comporte des cryptoactifs. Je n’ai jamais travaillé là-dessus auparavant. Le milieu, les gens et les outils ont évolué. C’est ce qui fait que notre travail reste toujours aussi plaisant, rafraîchissant et intéressant. »
Mme Supriya Sarin, PAIR, SAI, s’est installée au Canada en 2005 pour poursuivre une carrière dans le domaine de la restructuration commencée en Inde au sein du cabinet Ernst & Young (EY). Elle aussi trouve la profession fascinante et remplie de rebondissements.
« À mon arrivée ici, je cherchais évidemment un emploi dans le domaine des opérations ou des restructurations d’entreprises, raconte Mme Sarin. Par chance, PwC embauchait dans le domaine de la restructuration. »
Mme Sarin s’est jointe à l’équipe Conseils financiers et restructuration de PwC au début de l’année 2006. L’une des conditions préalables du poste était l’obtention du titre de SAI. Elle a donc entamé le Programme de qualification des CIRP/PAIR tout en continuant à acquérir de l’expérience professionnelle pratique et a obtenu son titre de SAI en 2011. Elle s’est jointe à l’équipe responsable des prêts spéciaux de la CIBC en 2012.
« Je correspondais en tous points au profil recherché. C’était un grand pas pour moi à l’époque. À mon avis, je dois en grande partie l’obtention de ce poste à mes acquis dans le cadre du cours [PAIR] et de mon expérience professionnelle au sein de PwC. L’obtention du titre m’a certainement grandement aidé, car elle m’a permis d’apprendre beaucoup de choses très pertinentes. »
« Pour apprécier cette profession, il faut aimer la résolution de problèmes, souligne Mme Sarin. C’est une profession très gratifiante, car nous réglons chaque jour des problèmes différents. Lorsqu’une restructuration porte fruit et que l’entreprise reprend ses activités ou lorsque je réussis à recouvrer un prêt en entier, je peux dire que la journée a été bonne. »
L’évolution du domaine de l’insolvabilité au Canada
Le domaine de l’insolvabilité a énormément évolué au Canada depuis sa première mention dans L’Acte de faillite de 1875, une loi largement inspirée des lois anglaises sur les faillites1 (en anglais seulement). Le premier grand changement a été apporté à l’adoption de la Loi de faillite de 1919, qui amalgamait les lois provinciales dans un cadre fédéral unique.
La loi sœur de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI), la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), qui concerne les faillites d’entreprises plus importantes, a aussi évolué au fil du temps et compte au moins cinq mises à jour majeures à son actif depuis sa création en 1933, dans la foulée de la Grande Dépression.
À ce jour, la modification la plus importante a été le passage à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI), en 1985, qui offre un cadre complet pour régir les cas de faillite et d’insolvabilité au Canada. La LFI a continué à évoluer, mais son objectif convenu d’accorder un nouveau départ aux personnes en difficulté financière a continué à trouver un écho dans l’ensemble du secteur.
Ces deux lois ont contribué à faire du régime d’insolvabilité canadien l’un des plus efficaces au monde. Elles sont « souvent citées comme un modèle par les groupes internationaux du domaine de l’insolvabilité », selon le ministre des Finances de l’époque, M. James Moore, dans un rapport de 20142.
Pour aider les professionnels soumis à ce régime, l’ACPIR a mis sur pied en 1998 la référence en matière de formation sur l’insolvabilité, qui est aujourd’hui connue sous le nom de « Programme de qualification des CIRP/PAIR » (PQC) et à laquelle s’ajoute le Cours pratique sur les consultations en matière d’insolvabilité.
Ils sont indispensables pour passer l’Examen national sur l’insolvabilité axé sur les compétences des CIRP/PAIR, qui permet d’obtenir le titre de PAIR. Les candidats et candidates doivent réussir un examen oral mené par le Bureau du surintendant des faillites (BSF) pour obtenir le titre de syndic autorisé en insolvabilité.
Le titre de PAIR : une porte ouverte sur de nombreuses occasions
Au Canada, presque toutes les procédures d’insolvabilité formelles, comme les propositions de consommateurs et les faillites, doivent être administrées par un SAI. Très peu de personnes auront affaire à un SAI dans leur vie et la majorité de celles qui y auront recours sera aux prises avec une insolvabilité personnelle.
Il s’agit de la sphère de la profession de l’insolvabilité dans laquelle les compétences interpersonnelles importent le plus. Loin d’être un travail de bureau monotone consistant à analyser des chiffres et des bilans, la profession de syndic nécessite d’entrer en relation avec des gens pendant ce qui risque d’être l’une des périodes les plus difficiles de leur vie, selon Rita Anderson, PAIR, SAI, à la tête d’un cabinet prospère à Sydney (en Nouvelle-Écosse).
« Nos entretiens avec les gens sont hauts en émotions, atteste Mme Anderson. Au début, j’avais du mal avec le fait de ramener le travail à la maison, mais plus maintenant. Au bout du compte, je suis la syndique qui s’assoit et peut parler avec n’importe qui, que ce soit des pêcheurs au bout d’un quai ou un chirurgien. »
« Je vais probablement continuer à travailler jusqu’à ma mort, plaisante-t-elle. Quand on aime ce qu’on fait, il est difficile de s’arrêter. »
Mme Anderson a commencé à travailler à Sydney en 1987 pour Collins Barrow (qui a été acheté par PwC), et elle a eu « la chance de pouvoir toucher à tout » en tant que syndique, des propositions de consommateurs aux dossiers d’entreprises. En 2015, elle s’est lancée à son compte, reconnaissante de la vaste expérience acquise au sein d’un cabinet, expérience qui lui a donné la confiance et le savoir-faire nécessaires pour lancer une entreprise florissante qui traite principalement des propositions de consommateurs.
« Je dirige mon propre cabinet spécialisé, raconte Mme Anderson. Cette carrière m’a beaucoup apporté dans ma vie personnelle et pas seulement pour toute l’aide que j’apporte à ma clientèle. Elle m’a apporté un regard différent sur les gens. Après avoir entendu leur histoire, je les vois différemment qu’à leur arrivée. Chaque dossier, chaque personne et chaque jour sont différents. Il est tout simplement impossible de s’ennuyer. »
« Accompagner des personnes pendant ce qui peut s’avérer une expérience horrible et émotive pour certaines peut être incroyablement poignant », affirme Mme Buhler. « Même si nous essayons de ne pas amener le travail à la maison, si nous savons que l’électricité d’une personne sera coupée en soirée, être capables de régler son dossier plus rapidement pour l’éviter nous fait sentir bien. »
Elle mentionne aussi que, pour la plupart des syndics autorisés en insolvabilité qui s’occupent de faillites personnelles, la relation avec monsieur et madame Tout-le-Monde confrontés à des moments de très grande détresse revêt un aspect très sérieux.
« Nous avons tous et toutes déjà eu à nous asseoir avec une personne qui avait des pensées suicidaires ou traversait une période vraiment difficile et avons réussi à l’aider à s’en sortir, raconte Mme Buhler. Un an plus tard, elle nous envoie des photos de ses enfants et de ses petits-enfants. C’est tellement satisfaisant de voir de nos yeux qu’elle est toujours là pour en profiter. Ça n’a pas de prix! »
Une profession unique, qui vous amène à vendre des choses inusitées
La profession de l’insolvabilité et de la restructuration offre beaucoup de variété et d’aventure et peut être à la fois éprouvante et gratifiante.
Voulez-vous des exemples?
« J’ai déjà vendu des girafes », se rappelle Caroline Comiré, CPA, CA, PAIR, SAI, directrice, Restructuration d’entreprise pour la région du Québec à la Banque de développement du Canada (BDC). « J’étais alors séquestre pour un zoo. Notre travail nous amène autant à nous déplacer sur des chantiers de construction que dans des boutiques huppées. Nous sortons de notre zone de confort et c’est très plaisant. »
« Je travaille dans le domaine depuis une vingtaine d’années et j’apprends encore des choses. C’est toujours intéressant. Je pense que c’est la diversité des tâches qui nous évite de nous lasser. »
Vous voulez savoir à quel point chaque dossier peut être différent? Matt Golding, CPA, CMA, PAIR, SAI, directeur de la région de l’Atlantique à la BDC, illustre bien cette diversité en nous expliquant comment il s’adapte à la grande variété de sociétés et d’entreprises qu’il peut être amené à visiter :
« Dans mon garage, j’ai trois sacs de chaussures spéciales. Je choisis la paire que je porte en fonction du type de client chez qui je me rends, explique M. Golding. J’ai des bottes en caoutchouc, des bottes de chantier et de belles chaussures de ville en cuir. Il vaut mieux éviter de porter ses chaussures de ville dans une ferme porcine, croyez-moi sur parole. »
Passion, apprentissage et magie de la profession
Les professionnels de l’insolvabilité aiment presque tous leur travail – ils en parlent comme d’une grande passion, évoquant leur attachement et la satisfaction personnelle qu’ils en retirent.
Selon M. Golding, l’insolvabilité se distingue de nombreux autres domaines du secteur financier parce qu’elle touche à l’immédiat.
« Si vous menez des audits, par exemple, vous serez amené à faire des rapprochements de stocks et à analyser des données qui datent d’il y a six mois pour vous former une opinion sur les chiffres, relate-t-il. De notre côté, nous faisons de la comptabilité, mais en temps réel. Les chiffres traduisent ce qui se passe en ce moment. »
« La curiosité, le désir d’apprendre et le souci de comprendre les entreprises au dossier sont des qualités essentielles pour travailler dans le domaine de l’insolvabilité, ajoute-t-il. Il faut avoir une soif d’apprendre. Si vous ressentez l’appel, vous constaterez que c’est un travail difficile et épineux, mais très gratifiant. D’excellents débouchés s’offrent aux personnes motivées. Vous aurez aussi l’occasion d’acquérir des compétences dans toutes sortes de portefeuilles et de toucher à un grand nombre de secteurs d’activité différents. »
« C’est peut-être ce qui fait la magie de cette profession. C’est une sorte d’éden plein de sujets passionnants sur lesquels nous n’aurions jamais pensé nous pencher, affirme Mme Grant. Il y a tellement de facettes à ce métier : droit, comptabilité, finances, etc. La juricomptabilité touche un peu à tout. »
« Vous vous y sentez comme dans un roman à suspens en tout temps. C’est vraiment l’analogie qui décrit le mieux notre travail, selon moi. Chaque dossier est un nouveau chapitre passionnant. »
1 https://law.uwo.ca/conferences/archives/bankruptcy_2021/100%20Years%20of%20Bankruptcy.pdf
2 https://ised-isde.canada.ca/site/corporate-insolvency-competition-law-policy/sites/default/files/attachments/review_canada_insolvency_laws-fra.pdf