Articles de fond de la revue Rebuilding Success - Automne/Hiver 2022 > Quelles formalités? Créativité procédurale dans le règlement des litiges relatifs aux réclamations
Quelles formalités? Créativité procédurale dans le règlement des litiges relatifs aux réclamations
Par Mary Paterson, Emily Paplawski et Mary Angela Rowe, Osler, Hoskin & Harcourt LLP
Dans le contexte de l’insolvabilité, les litiges relatifs aux réclamations sont généralement réglés par une procédure sommaire plutôt que par un procès en bonne et due forme comportant toutes les formalités procédurales habituelles. Récemment, les tribunaux ayant compétence en matière d’insolvabilité ont fait preuve d’une grande créativité en important au besoin des protections procédurales précises semblables à celles des procès (c’est-à-dire certaines formalités) afin de garantir l’équité. Les tribunaux ayant compétence en matière d’insolvabilité sont de plus en plus à l’aise de décider, au cas par cas, dans quelle mesure un processus de décision relatif à une réclamation doit être sommaire ou semblable à celui d’un procès en bonne et due forme.
Dans le cadre de cet article, des exemples récents où les tribunaux ont fait trois choix procéduraux différents seront examinés : 1) un procès sommaire hybride sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) qui reprend des caractéristiques d’un procès en bonne et due forme; 2) un jugement sommaire dans une procédure de mise sous séquestre où une cour d’appel a adopté des procédures simplifiées; et 3) une médiation obligatoire où un tribunal a conclu que la procédure elle-même ne permettrait pas de rendre des décisions efficientes et efficaces à l’égard des réclamations. Ces exemples peuvent aider les professionnels à déterminer la meilleure façon de résoudre des litiges relatifs aux réclamations dans le contexte de l’insolvabilité.
Forme plus officielle : procédures sommaires hybrides
Les jugements sommaires dans les cas d’insolvabilité font appel à des procédures différentes et adaptées selon une échelle variable implicite; les préoccupations relatives à l’efficacité et à la limitation des coûts conduisent à des procédures sommaires plus atténuées, tandis que les préoccupations relatives à la complexité et à l’équité conduisent à des procédures plus officielles (semblables à celles utilisées dans les procès). Les débiteurs insolvables souhaitent généralement que les litiges soient réglés efficacement afin de faciliter leur restructuration, tandis que les créanciers peuvent vouloir se battre pour obtenir certaines protections procédurales selon le contexte de la réclamation.
Une procédure sommaire créative sur le plan procédural est l’affaire Walter Energy Canada Holdings, Inc. (2017 BCSC 709), dans le cadre de laquelle la juge Fitzpatrick a ordonné un procès sommaire hybride concernant une réclamation complexe litigieuse. Une nouvelle question de conflit de lois visant à déterminer si le droit américain accordait à un créancier putatif une créance importante contre les débiteurs était soulevée. Le créancier putatif cherchait à obtenir les éléments d’un procès en bonne et due forme, y compris un interrogatoire préalable approfondi, en faisant valoir que la question du conflit de lois ne pouvait être dissociée de la détermination du montant de la réclamation. Cependant, le calendrier proposé menaçait les efforts de restructuration des débiteurs. Les débiteurs ont fait valoir que la procédure pouvait être scindée pour gagner du temps et qu’un interrogatoire préalable complet était prématuré puisque la preuve pertinente à la question du conflit de lois existait surtout dans le dossier touchant la LACC.
La juge Fitzpatrick a scindé la réclamation et a mis en œuvre une procédure hybride de procès sommaire comprenant un calendrier condensé, un échange de plaidoiries, des rapports écrits d’experts sur le droit américain et un contre-interrogatoire des experts (mais pas d’interrogatoire préalable). La juge Fitzpatrick a appliqué une approche visant à choisir et à combiner certaines procédures et a invité les tribunaux à se demander quelles procédures permettraient de régler chaque litige :
- si l’interrogatoire préalable oral ou la communication de documents est vraiment nécessaire et, le cas échéant, si des limites peuvent être imposées à cet interrogatoire préalable;
- si des affidavits doivent être déposés par opposition à des témoignages de vive voix lors d’un procès en bonne et due forme;
- si des contre-interrogatoires sur les affidavits ou les rapports d’experts sont nécessaires et si ces contre-interrogatoires peuvent être effectués avant l’audition ou lors de l’audition elle-même;
- si des délais pour la remise de documents, tels que les affidavits, ou toute procédure préalable à l’audition, peuvent être fixés de manière à accélérer la résolution des questions en litige;
- si d’autres moyens d’établir le dossier de preuve peuvent être ordonnés, par exemple, par le biais d’avis de demande d’admission, d’un exposé conjoint des faits et de documents communs de manière à réduire au minimum ou à éliminer tout conflit quant aux faits;
- si des arguments écrits peuvent être échangés avant l’audition.
Les professionnels peuvent tenir compte de la liste de la juge Fitzpatrick et se demander si l’un ou l’autre de ces éléments procéduraux doit être intégré dans un jugement sommaire d’une réclamation particulière.
Forme moins officielle : les jugements sommaires dans le cadre de procédures de mise sous séquestre
Alors que l’affaire Walter impliquait l’intégration d’éléments procéduraux officiels dans un processus de jugement sommaire, d’autres réclamations peuvent exiger des procédures plus simplifiées. Par exemple, dans la procédure de mise sous séquestre de l’affaire Ontario Securities Commission v Money Gate Mortgage Investment (2020 ONCA 812), la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté la demande d’une partie qui souhaitait des procédures plus semblables à celles d’un procès et a affirmé l’importance du règlement sommaire des litiges dans toutes les procédures d’insolvabilité.
Dans l’affaire Money Gate Mortgage, un séquestre a demandé des conseils et des directives au tribunal en vue d’obtenir une déclaration selon laquelle une hypothèque était valide (donnant droit au séquestre au produit de la vente de la propriété sous-jacente). Une tierce partie, qui soutenait que l’hypothèque était invalide, s’est opposée pour deux motifs : a) la décision quant à la réclamation ne pouvait pas être entièrement prise au moyen d’une motion en vue d’obtenir des conseils et des directives; et b) la réclamation comportait des éléments de preuve contradictoires et des différends sur la crédibilité, qui ne pouvaient être résolus que par un procès. Le juge Zarnett a confirmé la décision du juge des requêtes d’accorder un jugement sommaire en faveur du séquestre.
Le juge Zarnett a adopté une approche pratique : le règlement rapide des litiges peut être essentiel aux objectifs d’une mise sous séquestre, et il n’y avait aucune raison valable pour laquelle un tribunal ne pouvait pas régler les réclamations litigieuses dans le cadre d’une motion en vue d’obtenir des conseils et des directives. Bien que la tierce partie ait fait des allégations de fraude qui, selon elle, nécessitaient un procès complet, ces allégations n’étaient pas étayées par des preuves. Les parties doivent mettre de l’avant leurs meilleurs atouts, et le défaut de le faire a été fatal. Quoi qu’il en soit, la fraude alléguée ne remettrait pas en cause la validité de l’hypothèque, qui pouvait être déterminée au moyen du dossier existant.
Contrairement à l’affaire Walter, les faits dans l’affaire Money Gate Mortgage ne nécessitaient pas de procédures officielles afin de résoudre le litige. Si un contrôleur ou un séquestre demande une déclaration sommaire concernant une réclamation, les parties au litige doivent se rappeler que les procédures plus officielles ne constituent pas un droit; le processus sommaire peut être la seule chance qu’ils ont de plaider leur cause.
Hors contentieux : médiation obligatoire
Le jugement sommaire des réclamations dans le cadre de procédures d’insolvabilité est un moyen de parvenir à une fin, soit le règlement efficace et économique des litiges. Toutefois, un tribunal peut conclure que cette fin ne sera pas atteinte par le biais d’une procédure judiciaire et peut plutôt envoyer les parties en médiation. La juge Fitzpatrick est arrivée à cette conclusion dans l’affaire 1057863 B.C. Ltd (2022 BCSC 759) lorsqu’elle a ordonné la médiation obligatoire de la réclamation de 450 millions de dollars des débiteurs en vertu de la LACC contre la province de la Nouvelle-Écosse, en dépit des objections véhémentes de cette dernière. Malgré les démarches répétées des débiteurs et du contrôleur, la Nouvelle-Écosse avait fermement refusé de dialoguer avec les débiteurs et nié toute responsabilité.
La juge Fitzpatrick a confirmé l’ordonnance des débiteurs obligeant la Nouvelle-Écosse à participer à la médiation. Le règlement de la réclamation était essentiel à la restructuration des débiteurs, mais devant l’impasse, le litige long et coûteux nécessaire pour régler la réclamation pouvait mettre en péril leur capacité à se restructurer. La Nouvelle-Écosse refusant même d’envisager une transaction, il a fallu que le tribunal impose un processus substitutif de résolution des différends. En lisant entre les lignes, la juge Fitzpatrick semblait craindre que l’intransigeance d’une partie prenante puisse entraver toute restructuration potentielle, au détriment de toutes les parties prenantes.
À retenir
Les affaires Walter, Money Gate Mortgage et 1057863 illustrent le fait que, même dans un contexte de jugement sommaire, le processus réel de résolution des réclamations litigieuses dans les cas d’insolvabilité est très axé sur les faits et présente des possibilités de solutions créatives.
Lorsqu’une réclamation est importante, qu’elle exige une preuve d’expert ou qu’elle requiert des renseignements qui ne sont pas encore à la disposition du tribunal ou d’une partie, un tribunal ayant compétence en matière d’insolvabilité peut faire appel à des formalités du contexte du procès, comme les procédures énumérées par la juge Fitzpatrick dans son jugement dans l’affaire Walter.
Lorsqu’une décision par rapport à une réclamation peut être prise au moyen du dossier existant et qu’elle n’aura pas d’incidence importante sur l’insolvabilité globale, ou lorsqu’une partie ne fournit pas de preuves justifiant la nécessité de recourir à des procédures plus complexes, la réclamation peut généralement être réglée par procédure sommaire, sans avoir recours aux procédures plus étoffées d’un procès classique. Les parties doivent être prêtes à présenter leurs arguments les plus solides dans le cadre de motions de conseils et de directives, plutôt que de compter sur des procédures plus officielles par la suite.
Enfin, les débiteurs comme les parties prenantes doivent faire preuve d’une volonté de collaborer. Si les parties s’assoient à la table de négociation, même si aucun règlement n’est conclu, les tribunaux peuvent alors avoir l’assurance qu’aucun autre processus de résolution des différends ne sera fructueux et que le litige devra passer par une procédure sommaire aux fins de décision.