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Mahesh Uttamchandani : Transmettre le savoir-faire canadien en matière d’insolvabilité partout dans le monde
Par Andrew Flynn
Depuis son domicile, situé en Virginie septentrionale dans la banlieue de Washington D.C., Mahesh Uttamchandani commente les enjeux financiers mondiaux avec aisance et naturel, tout comme l’on s’attendrait d’une grande figure de la scène financière mondiale.
Né au Canada, il est un expert reconnu en droit financier et compte à son actif des dizaines d’énoncés de politique, d’allocutions, de rapports et de conférences universitaires. Depuis son bureau de Washington, il côtoie régulièrement les éminences grises de la finance mondiale.
Néanmoins, il n’est pas un PDG de grande envergure ou un gestionnaire de fonds spéculatifs multimilliardaire. Son destin l’a mené ailleurs, notamment à la Banque mondiale, dont la mission consiste ni plus ni moins à réduire la pauvreté à l’échelle mondiale.
Pour l’instant, il s’inquiète surtout de l’effet de la pandémie sur les moins fortunés de ce monde.
En 2017, la Banque mondiale a estimé que 689 millions de personnes vivaient dans des conditions d’extrême pauvreté. Puis vint la COVID-19…
« Ce dont je suis sûr, c’est que nous voyons déjà de plus en plus de personnes dans le monde sombrer à nouveau dans l’extrême pauvreté à cause de cette crise, soit environ 150 millions de personnes d’ici la fin de l’année, un nombre effarant qui vient probablement balayer la plupart des progrès réalisés en matière de réduction de la pauvreté au cours des dix dernières années », affirme M. Uttamchandani.
« La question n’est pas de savoir si les choses iront de mal en pis, puisque de nombreuses personnes vivent déjà dans des conditions très difficiles », souligne-t-il lors d’un appel vidéo.
« Il faut se demander à quoi ressemble une reprise vigoureuse, inclusive et véritablement verte. Car nous sommes confrontés à une occasion sans pareille qui nous permet de revoir fondamentalement notre façon de faire les choses. »
Il concède que tout cela ne semble pas avoir de corrélation directe avec l’insolvabilité, domaine du droit dans lequel il a reçu ses lettres de noblesse, « mais une économie vigoureuse dépend en partie d’un bon système d’insolvabilité. C’est un sujet qui nous préoccupe beaucoup, et c’est un peu un cliché, mais comment peut-on mieux reconstruire. »
Le titre du poste de Mahesh Uttamchandani a un poids considérable : il est le « Chef au pôle Finance, compétitive et innovation » du Groupe de la Banque mondiale, où il est chargé des questions d’inclusion financière, d’infrastructures et d’accès aux services financiers.
L’immensité de la tâche qui lui incombe est tout aussi considérable : il gère un certain nombre de programmes de la Banque mondiale, notamment les infrastructures du marché des paiements, l’accès universel aux services financiers, les infrastructures de crédit, le Cadre d’appui à l’inclusion financière et le Programme mondial de protection des consommateurs de services financiers.
« Notre travail consiste essentiellement à guider les pays en voie de développement en les invitant à améliorer leurs systèmes d’insolvabilité de telle sorte qu’ils puissent obtenir davantage d’investissements privés, stimuler l’esprit d’entreprise et bénéficier d’un crédit moins coûteux, bref, appliquer toutes les recommandations qui font partie intégrante d’un bon système d’insolvabilité. »
La difficulté d’adopter une politique de nouveau départ pour les consommateurs débiteurs, à l’image de celle du Canada et d’autres pays développés « découle du fait qu’il y a encore beaucoup trop de pays qui considèrent la question sous l’angle pénal », selon M. Uttamchandani.
« Le concept victorien qui est à l’origine de l’emprisonnement des consommateurs débiteurs est toujours en vigueur dans de nombreux pays, pour des raisons pratiques, car ils considèrent le défaut de paiement comme une faute morale ou pénale, par opposition à une simple compensation naturelle du risque commercial. »
Il dirige une équipe de sept avocats spécialisés en droit de l’insolvabilité à plein temps, sans compter vingt-cinq autres experts spécialisés dans les technologies financières, les systèmes de paiement et la protection financière des consommateurs. L’élément central du travail de l’équipe consacré à l’insolvabilité consiste à discuter avec les représentants des ministères des Finances, de l’Industrie ou des banques centrales, et à déterminer les mesures à prendre pour améliorer l’efficacité de leurs propres réglementations.
« L’effet boule de neige de ce manque d’encadrement entraîne une augmentation excessive du coût du crédit, ce qui fait que la valeur de liquidation d’une entreprise en difficulté est inférieure à la somme de ses parties, et entraîne des pertes d’emplois ainsi qu’un manque de relève entrepreneuriale », explique-t-il.
« Pour ma part, je pourrais rencontrer le ministre ou un haut fonctionnaire et recevoir des instructions générales. Ce qui compte avant tout, c’est que les autorités du pays mettent sur pied une équipe chargée d’élaborer un nouveau cadre applicable à l’insolvabilité. »
En outre, il codirige, avec un collègue de la Société financière internationale (IFC), le projet Accès universel aux services financiers : cap sur 2020, qui vise à aider les adultes qui n’ont pas accès à des services financiers traditionnels dans leur vie quotidienne. S’appuyant sur les progrès de la technologie financière, ce projet vise à leur donner accès à des comptes où ils pourront déposer de l’argent, envoyer ou recevoir des paiements, et acquérir les connaissances de base pour gérer leur vie financière.
« On compte dans le monde entier 1,7 milliard de personnes en situation d’exclusion financière, et les Canadiens sont incapables de concevoir une telle réalité », précise M. Uttamchandani. « Ces personnes ne disposent d’aucun service financier, d’aucun compte d’épargne, d’aucune carte de crédit; elles n’ont absolument rien. Nous travaillons très fort pour assurer l’inclusion financière de ces personnes. »
Néanmoins, comme il le dit lui-même, faciliter l’accès d’un milliard de personnes à des services financiers entraîne son lot de problèmes. Au nombre de ceux-ci, on retiendra l’exposition au surendettement et le comportement prédateur des prêteurs. Dans certains pays en développement, si une personne se trouve en difficulté financière, elle ne peut pas compter sur un filet de sécurité ou un nouveau départ : une fois en situation de surendettement, elle est exclue de l’économie à vie.
« À mon avis, si vous cherchez une passerelle entre l’insolvabilité et la réduction de la pauvreté, vous n’avez pas besoin de chercher très loin. »
La route qui a permis à Mahesh Uttamchandani de s’imposer sur la scène financière mondiale a commencé dans une banlieue de Toronto qui a vu naître d’autres célébrités internationales comme les Barenaked Ladies, Mike Myers et The Weeknd. Tout comme eux, il est resté empreint d’une humilité typiquement canadienne, attribuant son propre succès sur la scène mondiale à ceux qui l’ont aidé tout au long de son parcours.
« Je pense que le mentorat est une fonction très importante de notre travail, surtout pour un jeune de couleur de North Scarborough qui débarque à Bay Street, et cette expérience m’a été extrêmement précieuse », reconnaît M. Uttamchandani.
« Je sais que les choses ont bien changé au cours des vingt dernières années, mais à l’époque où je suis arrivé à Bay Street, il n’y avait personne comme moi. À mon sens, il faut non seulement favoriser une représentation équitable des individus – ce principe est vital pour moi – mais aussi, encourager la transmission du savoir d’une génération à l’autre. Le mentorat n’a tout simplement pas de prix, et c’est quelque chose que je prends très au sérieux dans mon rôle de leader maintenant. »
Diplômé en politique de l’Université Queen’s, Mahesh Uttamchandani a poursuivi ses études de droit à la prestigieuse Osgoode Hall Law School de l’Université York. Il a été auxiliaire juridique auprès d’éminents juristes comme l’honorable juge James Farley, c.r. et l’honorable juge Robert Blair.
« J’ai eu la chance d’avoir des mentors extraordinaires », confie-t-il.
« Peter Hogg, le spécialiste émérite des questions constitutionnelles au Canada, a été l’un de mes mentors. À la fin de mes études de droit, il m’a encouragé à travailler comme auxiliaire juridique. »
Lorsqu’il s’est présenté pour sa première journée de stage, il y avait dix places en droit criminel, dix en droit civil et une seule en droit de l’insolvabilité.
« Ils ont dit : “Mahesh, ton nom est sorti du chapeau, tu as la liste commerciale” », ce qui ne correspondait pas vraiment à ses aspirations. Néanmoins, à l’instar de nombreux professionnels de l’insolvabilité qui ont fait leur entrée dans la profession dans des circonstances inhabituelles ou inopinées, Mahesh Uttamchandani s’est vite découvert une vocation.
« Ce que j’ai aimé dans ce travail, c’est que tout aboutit devant les tribunaux “en temps réel”, comme le disait le juge Farley. On n’a pas le temps de faire de longues enquêtes, ni d’entamer de longues négociations, ni de conclure des accords devant le palais de justice : on est au tribunal le lendemain. »
À la fin de son stage, le juge Blair a estimé qu’il pourrait être un bon candidat pour le cabinet Thornton Grout Finnegan LLP (TGF) de Toronto, spécialisé dans les restructurations et les contentieux.
« Je suis allé à la rencontre de Bob Thornton et de Jim Grout, et tout s’est très bien passé », poursuit M. Uttamchandani. Dans ce cabinet, il a acquis une solide expérience en travaillant aux côtés des associés fondateurs de TGF et d’autres avocats de renom comme Grant Moffatt et D.J. Miller.
« On m’a fait confiance, on m’a guidé, on m’a laissé intervenir auprès des clients et on m’a permis de prendre des initiatives. J’intervenais tout le temps au tribunal; c’était une expérience extraordinaire. »
Outre toute l’expertise technique que Mahesh Uttamchandani a développée en travaillant chez TGF, la leçon la plus importante qu’il en a tirée est que l’insolvabilité est avant tout une affaire de relations humaines.
« Ce que Bob (Thornton) m’a inculqué, c’est que les relations humaines sont extrêmement importantes, et nommément dans un contexte aussi difficile. Cette vérité m’a tellement bien servi tout au long de ma carrière. »
Il a vite constaté que les professionnels du secteur de l’insolvabilité et de la restructuration étaient d’une trempe exceptionnelle et qu’il en faisait partie.
« Si vous croisez des gens du secteur de l’insolvabilité quelque part, vous remarquerez leur sens de l’humour mordant, leur dynamisme et leur enthousiasme et, franchement, le fait qu’ils soient un peu bizarres », raconte l’homme en riant.
« On est tous un peu des cow-boys et des cow-girls chacun à sa façon… Pour moi, c’était tout simplement incroyable de faire partie de cette communauté et je me suis dit : « Voilà ce que je veux faire de ma vie! »
Quant à ses mentors, ces derniers ne sont guère surpris qu’il soit appelé à jouer un rôle sur la scène internationale dans le domaine de l’insolvabilité.
« Je me souviens de ma première rencontre avec Mahesh, il était très impressionnant », raconte Thornton.
« Il était brillant, sympathique et très drôle. Il s’est également révélé être un avocat réfléchi, dur à la tâche et ingénieux. Nous avions une excellente relation professionnelle et personnelle. C’était un vrai leader et bon coéquipier de tous les instants. Il était toujours très attentif à ce qui se passait autour de lui et il aimait bien partager ses réflexions et ses idées. »
« Un jour, alors que j’étais en chambre avec le juge Blair et quelques avocats-conseils », se rappelle Jim Grout, « le juge Blair m’a demandé de rester après la rencontre. Il m’a fortement recommandé de recruter un auxiliaire juridique du nom de Mahesh. Il m’a assuré que ce dernier avait toutes les compétences requises, humaines et juridiques, pour devenir un grand avocat. » Après ma rencontre avec le juge Blair, nous avons convenu de le recruter. Nous n’avons jamais regretté cette décision.
« D’après mon expérience, il y a deux types de personnes qui occupent des postes de direction », explique M. Grout. « Celles qui ambitionnent de les obtenir et celles qui y sont appelées par la volonté des gens. Mahesh se situe dans ce dernier camp. Partout où il va, les gens se pressent autour de lui et cherchent ses conseils. Ça ne lui est jamais monté à la tête. »
« C’est toujours très enrichissant de travailler avec Mahesh », ajoute M. Thornton. « Sa passion pour son travail combinée à ses talents d’organisateur et à son esprit créatif fait de lui une force digne de mention. Sans parler de sa personnalité chaleureuse et attachante et de son sens de l’humour plutôt diabolique : travailler avec lui est un réel plaisir. »
Mon passage d’avocat spécialisé dans l’insolvabilité, domicilié en Ontario, au poste de Chef au pôle Finance, compétitive et innovation de la Banque mondiale a été marqué par une série d’étapes assez banales et fortuites, explique M. Uttamchandani.
Tout a commencé par un appel d’un collègue du gouvernement qui a laissé entendre que Mahesh Uttamchandani pourrait être intéressé par un poste à Londres à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), dont le Canada est une partie intéressée. Tout comme la Banque mondiale, la BERD a participé à l’octroi de prêts aux pays d’Europe de l’Est pour les aider à bâtir leur économie après la chute de l’Union soviétique. M. Uttamchandani a postulé et obtenu le poste, un détachement de deux ans. Heureusement, son épouse Komal Mohindra, qui est également avocate, avait été invitée par son cabinet à s’installer à New York ou à Londres. Cela semblait être la solution idéale.
« Londres est l’une des grandes villes du monde », souligne-t-il. « Nous nous y sommes établis; ma fille y est née, bref, tout cet univers s’est ouvert à moi. »
Rien de surprenant pour M. Thornton que son associé y soit resté. « Il avait une telle vision du monde que je craignais que le droit ne suffise pas à retenir son intérêt », se souvient M. Thornton. « Lorsqu’on lui a proposé un séjour de deux ans à la BERD, je me suis dit que le glas avait sonné pour sa carrière de juriste en Ontario. »
Uttamchandani lui avait promis qu’il reviendrait poursuivre sa carrière chez TGF, alors ils ont fait un pari et tous les deux ont déposé un huard sur l’étagère de M. Thornton. « S’il revenait, les huards seraient à lui. S’il ne revenait pas, je perdais sans aucun doute un associé prometteur, mais, somme toute, je gagnais un dollar! »
En 2006, alors que son séjour à la BERD touchait à sa fin, M. Uttamchandani lui a téléphoné pour lui dire qu’il serait de retour pour les huards. « Une semaine avant, il m’a téléphoné à nouveau », dit M. Thornton. « Je savais qu’il se passait quelque chose. Dès qu’il a dit “Bob, c’est Mahesh”, j’ai répondu “Alors, est-ce que ça veut dire que j’ai remporté les huards?” Comme il fallait s’y attendre, il m’appelait pour me dire qu’on lui offrait un poste de rêve à la Banque mondiale. »
Au dire de tous, il s’est présenté sur la scène internationale, muni de son humilité canadienne et de sa volonté de mieux comprendre les choses, pour les mettre au service du bien commun. « J’avais obtenu un contrat de consultation avec le groupe de Mahesh à la Banque mondiale », raconte M. Grout.
« J’ai rencontré Mahesh et son équipe à Washington pour discuter du projet. Deux aspects de la rencontre m’ont particulièrement interpellé : le premier concernait l’étendue de l’analyse des problèmes liés à l’insolvabilité; et le second était tout le respect que l’équipe vouait à Mahesh. Il était à l’écoute de tout le monde : il a énoncé les enjeux; définis le consensus sur la manière de procéder; et fixer des échéances. »
Aucun profil de Mahesh Uttamchandani ne serait tout à fait complet sans mentionner les faits suivants : il est l’un des experts en insolvabilité le plus en vue au Canada et dans le monde, et il s’est démarqué en participant au fameux jeu télévisé Jeopardy! en mars 2020. Voilà peut-être une raison de plus de souligner que les Canadiens peuvent accomplir de grandes choses, sans avoir à mettre de côté leur humilité ou leurs origines modestes. En fait, selon lui, ces caractéristiques expliquent peut-être pourquoi tant de Canadiens sont très appréciés sur la scène internationale.
« Je me considère comme faisant partie de cette merveilleuse communauté d’expatriés canadiens, affirme M. Uttamchandani.
« J’ai rencontré des Canadiens dans le monde entier qui font des choses fantastiques et qui échappent aux yeux de leurs compatriotes. J’aimerais que plus de Canadiens sachent que de telles opportunités existent, parce que nous sommes passés maîtres dans l’art de mener à bien ce genre de mandat. »