Articles de fond de la revue Rebuilding Success - Automne/Hiver 2022 > Dépens adjugés en matière familiale dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité
Dépens adjugés en matière familiale dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité
Anna Lund et Breanna Case
Les personnes qui entament une procédure d’insolvabilité indiquent généralement que la rupture d’une relation est à l’origine de leurs difficultés financières. Cet article traite d’une question qui peut se poser lorsqu’une partie en cause dans un litige familial entame une procédure d’insolvabilité : comment le dépôt d’une demande d’insolvabilité par un payeur influe-t-il sur la capacité d’un bénéficiaire à faire exécuter une condamnation aux dépens en matière familiale? Afin de comprendre les répercussions d’une procédure d’insolvabilité sur l’adjudication des dépens, le présent article examine la façon dont les différentes réclamations en matière familiale sont traitées en cas d’insolvabilité. Il examine ensuite le problème que rencontrent les parties au litige en matière familiale qui sont visées par une « adjudication mixte des dépens » à l’issue d’un procès ou d’une demande portant sur plusieurs réclamations en matière familiale.
Traitement des réclamations en matière familiale en cas d’insolvabilité
Les procédures en matière familiale peuvent aboutir à des ordonnances relatives à la pension alimentaire pour enfant et pour époux, au partage des biens, à la parentalité et aux dépens, entre autres. Chaque catégorie d’ordonnance est traitée différemment dans une procédure d’insolvabilité.
Les réclamations alimentaires pour époux et pour enfant présentées par le bénéficiaire font l’objet d’un traitement particulier lorsque le payeur entame une procédure d’insolvabilité. La Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B-3 (« LFI ») précise que les réclamations alimentaires au profit d’un époux ou d’un enfant sont considérées comme prouvables si elles découlent d’une ordonnance judiciaire rendue ou d’une entente conclue avant les procédures d’insolvabilité et à un moment où les parties vivaient séparément l’une de l’autre selon le paragraphe 121(4). De plus, l’article 69.41 donne à un créancier d’une réclamation alimentaire au profit d’un époux ou d’un enfant une certaine marge de manœuvre pour faire valoir sa créance contre le débiteur, malgré la suspension, et le paragraphe 136(1) (d.1) énonce qu’elle doit recevoir un paiement préférentiel. Enfin, les obligations alimentaires sont considérées comme des dettes acquittables en vertu des alinéas 178(1) b) et c).
Les demandes de partage des biens familiaux peuvent être classées comme des droits personnels ou des droits de propriété – les droits personnels sont acquittables dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, les droits de propriété ne le sont pas. Les demandes de partage des biens familiaux peuvent aussi être qualifiées d’aliments si la répartition du partage des biens est accordée en lieu et place d’une pension alimentaire. Dans l’affaire Cousin v Cousin, 2020 ABQB 636, la dette de l’époux envers l’épouse en vertu des dispositions de l’entente de séparation relatives au partage des biens a été qualifiée de pension alimentaire au profit de l’épouse et la faillite de l’époux ne l’a pas libéré de sa dette.
Les ordonnances parentales qui portent sur des questions comme le temps passé avec les parents et la prise de décision ne sont pas touchées par la procédure d’insolvabilité.
L’attribution des dépens a trois objectifs en droit de la famille : indemniser la partie ayant obtenu gain de cause, encourager le règlement et décourager les conduites répréhensibles. Dans les procédures d’insolvabilité, les dépens en matière familiale sont qualifiés de la même façon que la réclamation sous-jacente à laquelle ils se rapportent. Par exemple, les dépens adjugés sont qualifiés de réclamations alimentaires s’ils ont été adjugés à l’issue d’un procès ou d’une demande portant sur des réclamations alimentaires. Les dépens recevraient le même traitement particulier qu’une ordonnance de paiement d’une pension alimentaire pour époux ou pour enfant. Les dépens adjugés à l’issue d’un procès ou d’une demande sur la parentalité seraient traités comme une réclamation générale non garantie.
Malheureusement, de nombreuses demandes ne sont pas faciles à classer, car les aliments, le partage des biens et la parentalité font partie de catégories qui peuvent se chevaucher. En outre, des dépens peuvent être adjugés à l’issue d’un procès ou d’une demande portant sur plusieurs questions; seule la partie attribuable aux aliments bénéficie alors d’un traitement particulier.
Répartition des dépens
La jurisprudence récente donne un aperçu du processus de répartition « des dépens mixtes adjugés », c.-à-d., des dépens adjugés à l’issue d’un procès ou d’une demande portant sur plusieurs questions : les aliments, le partage des biens et la parentalité.
Le juge en droit de la famille rend la décision sur la répartition
La personne qui est en meilleure position pour répartir les dépens mixtes adjugés est le juge qui a instruit le procès ou la demande en matière familiale à l’origine de l’octroi des dépens. Ce juge a une expérience acquise sur place et qui lui permet d’évaluer les facteurs pertinents pour la répartition. Un autre juge peut prendre la décision sur la répartition si les plaideurs lui fournissent des éléments de preuve suffisants. Les cours ne s’entendent pas sur la question de savoir si une cour des faillites est compétente pour rendre une décision sur la répartition.
Les plaideurs doivent fournir à la Cour des éléments de preuve pertinents pour la répartition
Parfois, un juge aura un souvenir suffisant du procès sur lequel il pourra fonder sa décision sur la répartition; cependant, les plaideurs devraient fournir des documents pour rafraîchir la mémoire du juge lorsque cela est possible, selon la décision Taylor v Sist, 2017 ONSC 4280 [Taylor]. Les éléments de preuve sont fondamentaux lorsqu’un décideur autre que le juge de première instance répartit des dépens mixtes adjugés. Ces éléments peuvent comprendre les motifs écrits ou oraux du procès énoncés par le juge, les transcriptions du procès, les enregistrements en temps réel ou les comptes rendus sur le procès fournis par les avocats ou les plaideurs.
Le principe du functus officio (dessaisissement) n’est pas un obstacle à la répartition
Le principe du functus officio empêche les juges de modifier les jugements définitifs. Dans l’affaire Yassa v. Parker, 2018 ABQB 305, la Cour a jugé que ce principe n’empêche pas les cours de répartir des dépens mixtes adjugés. Dans l’affaire AA v. ZG, 2020 ONCA 192, la Cour a estimé qu’il était pertinent que le juge de première instance donne des conseils et des directives sur la façon dont une ordonnance devrait être interprétée après qu’un payeur a entamé des procédures d’insolvabilité.
Une décision sur la répartition est guidée par les mêmes principes qu’une décision sur les dépens initiaux adjugés
Lorsqu’on demande à une Cour de répartir des dépens mixtes adjugés après que le payeur a entamé une procédure d’insolvabilité, elle est régie par les mêmes principes que pour l’adjudication des dépens initiaux. Ces principes appliqués aux dépens sont énoncés dans les règles de procédure civile et donnent aux cours un pouvoir discrétionnaire important. Dans les décisions où elles répartissent les dépens mixtes en matière familiale, les cours accordent du poids au temps que les plaideurs ont consacré à une question pendant la préparation du procès ou au procès, aux efforts qu’ils ont déployés pour résoudre les questions avant le procès, à la conduite des parties et à l’importance relative d’une question.
Répartition des dépens entre les questions relatives à la parentalité et aux aliments
Les questions relatives aux aliments et à la parentalité sont liées. Selon les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants DORS/97-175, article 3, le montant de la pension alimentaire peut varier en fonction du temps que les enfants passent avec chaque parent.
Certaines cours ont indiqué que le temps passé avec les parents est « inextricablement lié » aux aliments et que, par conséquent, une partie importante des dépens d’un procès sur la parentalité peut être considérée comme des aliments. Dans la décision Taylor, les dépens ont été répartis en parts égales entre la parentalité et les aliments à l’issue d’un procès sur la parentalité. La Cour en arrive à une conclusion semblable dans la décision SS v. AS, 2021 ABQB 294.
Toutefois, les cours n’adoptent pas toujours un partage 50/50. Dans la décision Hutchinson v. Ross, 2021 ONSC 4128, une répartition différente (10 % des aliments) était justifiée parce que les parties avaient réglé la question des aliments au profit de l’époux avant le procès. Dans la décision MN v. CGF, 2021 BCSC 566, la Cour a jugé qu’aucune portion des dépens mixtes ne devait être attribuée aux aliments, en particulier parce que la partie en faveur de laquelle la Cour avait accordé des dépens s’était conduite de manière indigne.
Les dépens peuvent être qualifiés d’aliments lorsque la Cour conclut à l’existence d’un autre lien entre les réclamations d’aliments et les autres réclamations en matière familiale. Dans la décision CLM v. MJS, 2017 BCSC 1517, la Cour a jugé que la question du partage des biens était liée à celle des aliments, car les communications de renseignements financiers étaient essentielles pour la résolution des deux questions. Le plaideur qui a obtenu gain de cause a dû poursuivre le plaideur qui a perdu pour la divulgation et la Cour a considéré comme aliments 40 % des dépens de l’instance. À l’inverse, dans la décision MWB v. ARB, 2014 BCSC 2309, les dépens liés à un litige concernant la vente d’un bien en copropriété n’ont pas été qualifiés d’aliments. La Cour a estimé que les répercussions de la vente sur le bien-être financier des plaideurs n’avaient qu’un lien ténu avec la réclamation d’aliments.
Un cadre pour la répartition des dépens mixtes adjugés
La jurisprudence permet de synthétiser un cadre pour l’attribution des dépens mixtes :
- Déterminer les questions qui ont fait l’objet d’un litige : aliments, parentalité ou partage des biens.
- Examiner si l’une ou l’autre des réclamations relatives à la parentalité et aux biens est étroitement liée aux aliments ou si elle est correctement qualifiée d’aliments.
- Estimer le temps consacré à chaque question au procès.
- Examiner les lois régissant les dépens et déterminer les facteurs qui pourraient influer sur une décision sur les dépens, comme la conduite du plaideur ou le rejet d’une offre raisonnable avant le procès.
- Évaluer les éléments de preuve à fournir au décideur.
Points à retenir
Les avocats en droit de la famille représentant un bénéficiaire de dépens mixtes peuvent prendre des mesures pour protéger les intérêts de son client créancier dans une procédure d’insolvabilité :
- Répartir les dépens au moment de l’audience, soit par accord entre les parties, soit par demande adressée à la Cour.
- Si les dépens n’ont pas été répartis au moment où le payeur entame une procédure d’insolvabilité :
- Négocier la répartition avec le payeur et déposer une ordonnance de consentement dans le cadre de l’instance en droit familial.
- Demander à la Cour de la famille de répartir les dépens dans une instance en droit de la famille.
- Envisager d’autres options qui s’offrent au bénéficiaire des aliments dans le cadre de la procédure d’insolvabilité, comme prouver une réclamation, voter contre une proposition de consommateur ou s’opposer à une libération.
Les syndics ne sont pas directement en cause dans la répartition des dépens mixtes, mais ils ont néanmoins un rôle à jouer :
- Informer le débiteur que toute portion des dépens mixtes peut encore être exécutoire après la libération si elle est qualifiée d’aliments.
- Informer le bénéficiaire que jusqu’à ce qu’il soit réparti par la Cour de la famille, le montant des dépens adjugés ne sera pas considéré comme lié aux aliments.
Si vous souhaitez en connaître davantage sur l’attribution des dépens en matière familiale dans les procédures d’insolvabilité personnelle, Anna Lund a publié un article sur ce sujet dans la Revue annuelle du droit de l’insolvabilité 2021 : « Family Law Costs Awards in Insolvency Proceedings ».