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Survol de Reinventing Bankruptcy Law: A History of the Companies’ Creditors Arrangement Act
Par Virginia Torrie, professeur agrégée, Université du Manitoba, Faculté de droit.
La Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) est inscrite dans les lois canadiennes depuis près de 90 ans. Au cours des quatre dernières décennies, la Loi a été appliquée pour résoudre les problèmes d’insolvabilité de nombreuses grandes entreprises, y compris des entreprises bien connues comme Air Canada, Algoma Steel, Eaton, Sears Canada, Target Canada, Canwest Global Communications et DavidsTea, pour n’en nommer que quelques-unes. Au cours de cette même période, le domaine de l’insolvabilité s’est développé considérablement, ce qui a conduit à la création de publications telles que la Revue annuelle du droit de l’insolvabilité et la Conférence qui en découle. Néanmoins, jusqu’à récemment, on ne s’est guère intéressé à l’historique de la LACC. D’où la monographie, Reinventing Bankruptcy Law: A History of the Companies’ Creditors Arrangement Act publié par les Presses de l’Université de Toronto en 2020. Cet ouvrage présente le premier compte rendu historique des origines du plus important cadre de restructuration des entreprises au Canada.
Reinventing Bankruptcy Law fait appel à plusieurs perspectives d’analyse, notamment le droit, l’histoire, les sciences politiques et la sociologie, pour vous présenter un récit multidisciplinaire de l’évolution du droit de la restructuration des entreprises canadiennes au cours du vingtième siècle. Le livre aborde la question suivante : « Comment peut-on dire que, la LACC, c’est “la LACC”? » Il faut reconnaître que la réponse ne convient pas aux gens timorés. Comme le souligne le professeur Anthony Duggan de la Faculté de droit de l’Université de Toronto dans son avant-propos, « le livre fait exploser les idées reçues sur les objectifs politiques sous-jacents de la LACC, et il expose les effets dévastateurs des erreurs du passé dans la jurisprudence contemporaine ». Cet article met en lumière trois principales conclusions qui sont tirées de l’ouvrage.
La première est que la LACC se voulait un mécanisme de recours pour les créanciers garantis les plus importants. Hormis une seule remarque formulée par le Parlement, aucun élément historique ne vient étayer l’idée que la Loi se voulait un recours pour les entreprises débitrices ou qu’elle visait à promouvoir l’intérêt public au sens large. Au contraire, les entreprises qui présentaient un intérêt public considérable dans les années 1930, comme les chemins de fer et les compagnies de télégraphe, étaient expressément exclues du champ d’application de la LACC, et le sont toujours, du moins en théorie. Il faut se rappeler que la Grande Dépression a été le nadir de la foi du public dans le capitalisme et les marchés libres. Les entreprises qui présentaient des aspects touchant à l’intérêt public ont pour la plupart bénéficié d’une aide directe du gouvernement et, quoi qu’il en soit, le sort des entreprises les plus importantes a échappé à l’emprise des créanciers.
La Loi elle-même s’inscrivait dans le prolongement d’une pratique de longue date de restructuration par mise sous séquestre menée par les obligataires et achevée, dans de nombreux cas, par une vente judiciaire. Bien que l’adoption de la loi ait coïncidé avec la Grande Dépression, elle n’a pas été provoquée par cet épisode économique important. Au contraire, les changements apportés aux pratiques de financement dans les années 1910 et 1920, ainsi que l’augmentation des investissements américains, ont laissé les entreprises canadiennes sans terme précis dans les actes de fiducie (appelé « disposition majoritaire »), ce qui a facilité les restructurations dirigées par les obligataires par l’entremise d’un syndic ou d’un séquestre. Sans dispositions majoritaires, il était impossible de restructurer les grandes entreprises, car la législation canadienne sur la faillite ne prévoyait pas la restructuration des créances garanties. Alors que les obligataires pouvaient mettre les entreprises débitrices sous séquestre, les mises sous séquestre sans dispositions majoritaires aboutissaient dans un circuit d’attente. Il fallait absolument trouver un moyen de restructurer les créances garanties – en dehors des accords privés – car les principaux détenteurs d’obligations de compagnies canadiennes étaient de grandes compagnies d’assurance-vie, comme la Canada Vie, la Great-West et la Sun Life. Pour assurer la solvabilité de ces institutions financières canadiennes d’importance systémique, il fallait trouver un moyen de restructurer les entreprises emprunteuses.
La deuxième conclusion tirée de l’ouvrage a trait à la controverse importante qui a entouré l’adoption de la LACC et son application en tant que loi fédérale. Le partage des compétences législatives prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867 à 1982, comme elle était perçue dans les années 1930, stipulait que les créances garanties, à titre de droits de propriété, relevaient de la compétence exclusive des provinces, et qu’aucun événement ultérieur, comme l’insolvabilité, ne pouvait y changer quoi que ce soit. Pour les avocats en droit commercial, à première vue, la LACC semblait inconstitutionnelle et ils ont initialement mis en garde leurs clients contre son application. Cela a amené le gouvernement du premier ministre Bennett à renvoyer sa propre loi à la Cour suprême du Canada pour qu’elle se prononce sur sa validité constitutionnelle. Au grand étonnement de plusieurs, la Cour suprême a maintenu la validité de la LACC comme législation fédérale sur les faillites et l’insolvabilité, mais, curieusement, le jugement majoritaire a négligé la question des droits de propriété et a plutôt caractérisé la LACC comme une solution de compromis pour les « créanciers non garantis ».
La confusion entourant la décision de la Cour suprême était également répandue au sein des entreprises et des fournisseurs. Bien que la LACC ait été conçue comme un recours pour les obligataires, rien dans le cadre de la loi ne pouvait empêcher une compagnie débitrice de présenter une demande et de procéder à une restructuration. Cependant, en l’absence d’un syndic ou d’un séquestre agissant pour le compte des obligataires, il n’y avait pas de mécanisme pour évaluer la bonne foi des efforts du débiteur dans les négociations de restructuration et le sentiment général était que cela conduisait à des abus à l’égard des créanciers non prioritaires et des fournisseurs. Ces préoccupations ont donné lieu à des efforts répétés pour abroger la LACC à partir de 1938. Un comité parlementaire a recommandé un compromis auquel sont parvenus des groupes représentant les intérêts des fournisseurs et des créanciers afin de préserver la LACC comme recours pour les obligataires et d’empêcher son application dans le cadre d’un financement pour un débiteur en possession de ses biens. Dans les années 1950, le Parlement a dûment adopté la modification de l’acte de fiducie. Cette modification interdisait l’utilisation de la Loi sauf si la société avait une émission d’obligations non garantie en circulation en faveur d’un fiduciaire, et que la restructuration proposée comprenait cette dette. Le but de la modification était que la Loi ne puisse être invoquée que lorsque le syndic ou le séquestre des obligataires était présent pour superviser les efforts de restructuration et veiller à ce que ces efforts soient dirigés au profit des créanciers.
Ce bref survol de la création et de l’adoption de la LACC nous amène à la troisième conclusion tirée de Reinventing Bankruptcy Law, à savoir qu’une analyse historique de cette Loi jette un éclairage quelque peu différent sur les récentes modifications. Si l’on considère l’évolution de la LACC au cours des quarante dernières années, on se réjouit généralement de l’apport progressiste des juges et des avocats qui ont contribué à transformer une loi qualifiée d’anémique en un cadre moderne de restructuration par le financement pour un débiteur en possession de ses biens et qui tient compte des considérations de l’intérêt public dans l’insolvabilité des entreprises. Lorsque ces changements sont évalués à la lumière de l’objet réel de la Loi et de la modification de l’acte de fiducie, le tableau est un peu moins flatteur.
Prenons un seul exemple : l’acte de fiducie « sur demande ». Ce stratagème a vu le jour peu de temps après la réhabilitation de la LACC dans les années 1980 et 1990, et son seul but était d’assujettir une compagnie débitrice à la Loi. En gros, cela se passait comme suit : La compagnie débitrice en faillite, n’ayant pas d’émission d’obligations en circulation, empruntait un montant nominal à un créancier non commercial (souvent un membre de l’équipe de direction), par le biais d’un acte de fiducie, de manière à satisfaire aux exigences de l’acte de fiducie prévue par la LACC. Cette pratique a clairement miné l’intention du Parlement, qui voulait que la LACC soit un recours pour les créanciers garantis comme formulé dans l’adoption initiale de la Loi et dans les modifications apportées subséquemment aux actes de fiducie. Le recours à de tels stratagèmes est monnaie courante dans l’application de la LACC, où les dispositions restrictives sont interprétées de façon tellement stricte qu’elles n’ont plus aucun poids dans la pratique, ce qui est difficile à concilier avec les règles de droit établies en matière d’interprétation des lois. Bien que l’évolution jurisprudentielle du droit de la LACC ait été justifiée, dans une certaine mesure, par la nature squelettique de la Loi, ces restrictions législatives ne sont pas, en soi, des « manques » à combler.
Un thème connexe dans la réglementation récente de la LACC est celui de l’inversion des rôles entre le Parlement et les tribunaux en ce qui a trait aux changements apportés à la législation. Les actes de fiducie sur demande illustrent bien ce phénomène. Les actes de fiducie sur demande étaient devenus une pratique courante dans les tribunaux régis par la LACC, et, de ce fait, le Parlement a abrogé cette disposition superflue. Ainsi, les changements législatifs découlant des tribunaux ont ensuite été entérinés par le Parlement. C’est assez inhabituel dans un domaine de droit qui s’appuie sur des lois, où l’on s’attend habituellement à ce que des changements soient apportés par voie législative et, en tout état de cause, on ne s’attend pas à ce que les juges « abrogent » les articles de la loi habilitante. Ces observations concordent toutes avec le rôle important joué par les juges dans les cas contemporains d’insolvabilités en vertu de la LACC.
Cet article met en lumière trois des principales conclusions d’une étude historique de la LACC et illustre comment elles offrent une nouvelle perspective sur les changements juridiques contemporains. Ces thèmes, ainsi que les points de divergence entre les pratiques antérieures et contemporaines, font l’objet d’analyses dans la seconde moitié de Reinventing Bankruptcy Law, ce qui donnera sans aucun doute aux lecteurs beaucoup de matière à réfléchir sur le droit et les pratiques contemporaines applicables à la LACC.