Articles de fond de la revue Rebuilding Success - Automne/Hiver 2023 > D’autres difficultés sont à venir au moment où les banques centrales touchent au terme d’un cycle de hausse historique
D’autres difficultés sont à venir au moment où les banques centrales touchent au terme d’un cycle de hausse historique
Par Claire Fan, économiste, RBC
Points saillants
- La Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine ont amorcé, l’an dernier, l’un des cycles de hausse des taux les plus rapides observés depuis les années 1980 afin de maîtriser rapidement les tensions inflationnistes qui s’accélèrent en ralentissant l’économie.
- Au Canada et aux États-Unis, la baisse du taux d’inflation atteint maintenant un niveau qui n’exige aucune autre intervention immédiate des banques centrales.
- Jusqu’à présent, les dépenses des ménages ont continué d’atteindre des niveaux record. Cependant, certains signes laissent entrevoir un ralentissement des activités économiques.
- Les décideurs politiques ne seront pas convaincus que le ralentissement de l’inflation est durable avant que la demande continue de fléchir. Ils se tiendront également prêts à relever les taux une autre fois si l’inflation s'emballe de nouveau.
- Dans ce contexte, nous pensons qu’un atterrissage tumultueux est encore le scénario le plus probable pour les États-Unis et le Canada où la croissance du produit intérieur brut (PIB) se contractera légèrement plus tard au cours de l’année et les taux de chômage augmenteront.
Les données économiques robustes ont apporté une lueur d’espoir aux marchés boursiers au cours de l’été alors que les craintes de récession s’apaisaient.
L’inflation a affiché de nouveaux signes de ralentissement, à des degrés divers selon les régions. Par conséquent, il est moins urgent pour les banques centrales de relever les taux d’intérêt, même si la croissance économique continue d’être plus forte que prévu. Malgré un regain de confiance sur les marchés, les courbes de rendement demeurent fortement inversées en raison du ralentissement attendu de l’économie et de la baisse attendue des taux d’intérêt par les banques centrales en 2024 et au-delà.
De nombreux ménages semblent survivre mieux que prévu aux hausses des taux d’intérêt, et les dépenses en services discrétionnaires en particulier demeurent importantes. Cependant, des signes d’affaiblissement sont décelés dans d’autres secteurs. Les banques américaines continuent de signaler des normes de crédit plus strictes et un ralentissement de la demande de prêts commerciaux et industriels — signe que les entreprises sont de plus en plus prudentes. De même, les importations de machinerie et d’équipement industriel au Canada, qui sont un indicateur avancé des activités d’investissement des entreprises, sont signalées depuis le printemps.
Le ralentissement de l’inflation à ce jour est attribuable en partie à la baisse des prix de l’énergie, une baisse qui pourrait être de courte durée. Les prix du pétrole ont affiché une hausse générale au cours des derniers mois, malgré les préoccupations quant à une baisse de la demande en Chine. Les banques centrales ont peu d’influence sur les prix des produits de base à l’échelle mondiale. Cependant, même en excluant l’énergie, la question imminente est de savoir combien de temps au juste les traces d’un ralentissement de l’inflation « fondamentale » peuvent perdurer, alors que la conjoncture macroéconomique demeure résiliente. Et même si les banques centrales préfèrent éviter d’augmenter les taux d’intérêt, elles sont clairement disposées à le faire, si cela est nécessaire, pour maîtriser l’inflation d’une manière complète et durable.
Un apaisement des tendances inflationnistes dans le monde permet aux banques centrales de faire une pause
Il est difficile de démontrer dans quelle mesure le ralentissement des tensions inflationnistes à ce jour peut être attribué au resserrement de la politique monétaire et dans quelle mesure il peut être attribué à l’assouplissement des contraintes liées à l’offre. Peu importe ce qui a fait monter les prix, les tensions sur les prix se sont généralement assoupli par rapport aux niveaux importants observés en 2022, l’indice des prix à la consommation (IPC) global ayant baissé pour atteindre près de 3 % au Canada et aux États-Unis au cours de l’été.
Les mesures de l'inflation fondamentale des banques centrales, conçues pour donner une meilleure mesure des tensions inflationnistes sous-jacentes plus persistantes (à part la volatilité des prix des aliments et de l’énergie sur laquelle les banques centrales ont moins de contrôle) sont également à la baisse. Cependant, selon ces mesures, les tensions sur les prix intérieurs se révèlent un peu plus persistantes au Canada qu’aux États-Unis. Le taux d’augmentation annualisé sur trois mois de la mesure de l’inflation « super fondamentale » (supercore) que préfère la Réserve fédérale (inflation fondamentale des services, excluant le logement) a baissé pour atteindre environ 1½ % aux États-Unis en juin et en juillet. Pendant ce temps, la croissance d’un mois à l’autre dans les mesures de l'inflation fondamentale au Canada est bien inférieure aux niveaux de l’an dernier, mais elle demeure stable et oscille entre 3,5 % et 4 % depuis la fin de 2022.
La Réserve fédérale américaine et la Banque du Canada ont agi de concert en juillet en augmentant de 25 points de base leur taux directeur – faisant passer les hausses totales pour ce cycle de hausse à 475 points de base au Canada et à 500 points de base aux États-Unis. Les taux d’intérêt se situent maintenant à des niveaux que les banques centrales considèrent comme suffisants pour ralentir l’économie et l’inflation à l’avenir, et les autres changements dépendront de l’évolution des données économiques et des tensions inflationnistes observées. Les conséquences des hausses des taux d’intérêt à ce jour ne se sont pas encore fait sentir pleinement et elles continueront de se répercuter sur les données de croissance économique et les marchés du travail, avec un effet à retardement. Les banques centrales se méfient de plus en plus des risques d’un resserrement excessif. Cela est particulièrement vrai au Canada, où les données économiques commencent déjà à présenter un certain affaiblissement, en particulier sur les marchés du travail. Dans ce contexte, la plupart des banques centrales tendent à faire une pause « optimiste » dans l’actuel cycle de hausse des taux.
La barre pour un autre resserrement de la politique monétaire est placée haut. À moins que les pressions sur les prix reprennent de la vigueur, nous prévoyons que la Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine laisseront leurs taux directeurs inchangés pour le reste de l’année 2023. Et nous ne prévoyons pas de revirement baissier avant le deuxième trimestre de 2024 pour la Réserve fédérale, et le deuxième semestre de l’an prochain pour la Banque du Canada.
L’économie canadienne ralentit malgré une croissance démographique record
L’accroissement de la population a entravé les efforts pour suivre de près la santé de l’économie canadienne. Au premier trimestre, le Canada a ajouté près de 230 000 nouveaux consommateurs âgés de 15 ans et plus à sa population, donnant ainsi un élan appréciable à la demande des consommateurs. Cependant, si nous regardons les dépenses de consommation par personne, nous constatons un ralentissement. Et il y a des signes que les effets des taux d’intérêt élevés ont des répercussions plus importantes sur le pouvoir d’achat des ménages. Bien que le PIB ait légèrement augmenté au deuxième trimestre (selon les estimations préliminaires), il a reculé en juin (- 0,2 %).
Pendant ce temps, les premiers signes de ralentissement sur les marchés du travail laissent présager un affaiblissement de l’activité. La croissance de l’emploi a peut-être augmenté au deuxième trimestre, mais elle a aussi reculé légèrement pendant deux des trois derniers mois. Et l’effritement de la demande de main-d’œuvre (la tendance à la baisse persistante du nombre de postes vacants) conjugué à la hausse de l’offre de main-d’œuvre (croissance toujours formidable de la population) a commencé à pousser le taux de chômage vers le haut. Les données sur le marché du travail canadien sont particulièrement volatiles. Cependant, la hausse de 0,5 point de pourcentage du taux de chômage au cours des trois derniers mois jusqu’en juillet représente la plus forte hausse (en dehors de la pandémie) observée depuis le début de la récession de 2008-2009.
Les dépenses en services discrétionnaires, les secteurs les plus touchés par la demande comprimée à la suite de la pandémie, par exemple les dépenses de restauration, demeurent soutenues. Toutefois, la croissance des dépenses réelles (pour maîtriser l'inflation élevée) a commencé à se stabiliser. Les dépenses en biens sont également à la baisse. Les volumes de ventes au détail du deuxième trimestre sont inférieurs de 2 % (sur une base annualisée) aux volumes du premier trimestre. Et les importations de biens de consommation sont inférieures de près de 10 % à ce qu’elles étaient l’automne dernier.
Le pouvoir d’achat des ménages est déjà limité par la hausse des prix et des frais de service de la dette, ce qui entraîne une augmentation des taux de délinquance associés aux cartes de crédit et aux prêts-autos. Jusqu’à présent, la robustesse des marchés du travail a contribué à atténuer les répercussions d’une telle augmentation sur les dépenses de consommation et l’économie dans son ensemble. Toutefois, le niveau élevé d’endettement des ménages signifie que les Canadiens sont plus vulnérables que jamais à un ralentissement des marchés du travail attendu depuis longtemps.
Un atterrissage tumultueux demeure plus probable aux États-Unis
Aux États-Unis, les tensions inflationnistes s’apaisent généralement, et la consommation ainsi que le marché du travail demeurent résilients. La publication de données récentes pour le mois de juillet, y compris des hausses soutenues dans les ventes au détail et la production industrielle, laisse entrevoir un début prometteur au troisième trimestre. Cela a renforcé les discussions autour d’un possible « atterrissage en douceur » de l’économie américaine, c’est-à-dire un repli de l’inflation vers la cible de 2 % de la Réserve fédérale, sans une détérioration importante de la situation du marché du travail ou une augmentation du chômage.
Nous continuons de penser qu’un tel scénario est improbable. Les prévisions d’une inflation persistante à long terme ont probablement joué un rôle plus important dans la modération des tendances inflationnistes qu’il ne l’est généralement admis. Toutefois, il est peu probable que la Réserve fédérale considère que le ralentissement de l’inflation puisse se maintenir sans un affaiblissement de la demande des consommateurs et des marchés du travail.
Par ailleurs, il existe encore des raisons de s’attendre à un ralentissement des activités économiques aux États-Unis. L’épargne excédentaire accumulée pendant la pandémie est maintenant épuisée en grande partie. Depuis le premier trimestre de 2022, les actifs liquides des ménages, y compris les soldes en espèces et les dépôts à terme, chutent régulièrement d’un trimestre à l’autre. En outre, certains fardeaux, comme la reprise des remboursements des prêts étudiants, pèsent encore sur de nombreux ménages. Les taux d’intérêt élevés rendent de plus en plus inaccessibles les emprunts destinés aux dépenses courantes. La croissance de l’économie s’est avérée plus vigoureuse que prévu, et le PIB devrait afficher une nouvelle hausse au troisième trimestre. Cependant, de premiers signes laissent entrevoir un prochain ralentissement de l’activité économique. Nous continuons de prévoir un ralentissement plus important de la croissance du PIB plus tard cette année.