Articles de fond de la revue Rebuilding Success - Printemps/Été 2023 > Bras de fer pour le contrôle des entreprises insolvables : Points à considérer entre une demande de mise sous protection de la LACC et une demande de mise sous séquestre
Bras de fer pour le contrôle des entreprises insolvables : Points à considérer entre une demande de mise sous protection de la LACC et une demande de mise sous séquestre
Par Shaun Parsons, associée, Reconstruct LLP
Contenu sponsorisé
L’ouverture d’une procédure d’insolvabilité contentieuse peut se transformer en une lutte acharnée pour le contrôle du processus entre l’entité débitrice et les créanciers garantis importants. Comme l’a noté Frank Bennett dans la dernière édition de son ouvrage de référence Bennett on Bankruptcy, à une extrémité, une entité débitrice peut présenter une demande d’ordonnance initiale pour être placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC »)1 afin de bénéficier d’un répit alors même que les créanciers se pressent pour se faire régler les paiements en retard2. Dans le coin opposé, les créanciers garantis peuvent demander la nomination d’un administrateur-séquestre au vu des montants dus.
Dans ce bras de fer, il reviendra à la Cour de déclarer l’entité « gagnante ». Si le débiteur ne peut établir de motifs suffisants pour obtenir une ordonnance initiale en vertu de la LACC, ou si la protection de la LACC semble inappropriée, le tribunal peut nommer un administrateur-séquestre qui prendra possession de l’entreprise débitrice ou, sinon, rejeter les deux demandes3.
La demande de nomination d’un séquestre et la demande de protection en vertu de la LACC sont toutes deux soumises à des critères qui doivent être satisfaits avant que le tribunal n’accorde une protection. Par conséquent, lors de l’examen de demandes concurrentes de mise sous séquestre et de protection en vertu de la LACC, le tribunal déterminera si les critères applicables sont satisfaits; il examinera et mettra en balance les intérêts concurrents des divers acteurs économiques afin de déterminer quel est le processus qui convient le mieux4.
Procédure de la LACC
Comme l’indique l’ouvrage Bennett on Bankruptcy, une société débitrice insolvable peut avoir accès au régime de restructuration de la LACC si la société débitrice ou des sociétés appartenant au même groupe sont insolvables, ont une dette de plus de cinq millions de dollars et exercent leurs activités au Canada5. La demande de protection en vertu de la LACC étant généralement présentée par la société débitrice, c’est à elle qu’il incombe de convaincre le tribunal qu’elle remplit les conditions requises pour bénéficier de la protection en vertu de la LACC6. L’ordonnance initiale accordée dans le cadre de la LACC offre un recours sans égard à la responsabilité, à condition que les demandeurs agissent de bonne foi et avec toute la diligence nécessaire dans le processus7. Le but de la LACC est de mettre en œuvre des mesures correctives; elle n’a pas vocation à être préventive8.
Dans le cadre de la LACC, l’équipe de direction existante conserve le contrôle des opérations de la compagnie débitrice tout en élaborant un plan d’arrangement visant à restructurer la compagnie débitrice. Contrairement à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité9, le processus de la LACC est souple et permet de mettre en place des restructurations créatives et sur mesure. La LACC ne définit pas ce qu’est un plan d’arrangement ni ne donne d’explication exhaustive sur la façon de structurer un tel plan10. Malgré cette souplesse, le débiteur qui cherche à faire approuver son plan doit obtenir les votes des créanciers de chaque catégorie représentant les deux tiers en valeur et la majorité en nombre des créanciers votants11. Sur la base de ces seuils, les créanciers garantis importants peuvent effectivement avoir un droit de « veto » sur tout plan de restructuration en vertu de la LACC.
Un tribunal tiendra compte dès le départ du plan de restructuration prévu par le débiteur dans le cadre de la LACC. Les débiteurs n’ont besoin que d’un début de plan pour se voir accorder des redressements dans le cadre de la LACC, mais, implicitement, en cas de concurrence entre plusieurs procédures de mise sous séquestre, l’idée tacite est que le plan du débiteur doit être préféré aux autres procédures de séquestre.
Procédure de mise sous séquestre
Comme l’indique l’ouvrage Bennett on Bankruptcy, une fois que le tribunal a nommé un séquestre, celui-ci devient un dirigeant de l’entreprise et doit rendre des comptes au tribunal qui a procédé à sa nomination, ainsi qu’à toutes les parties intéressées12. Le séquestre doit gérer les entreprises débitrices indépendamment de tout contrôle ou de toute directive du détenteur de titres de créance qui a cherché à obtenir l’ordonnance de nomination13.
L’article 243(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et l’article 101 de la Loi sur les tribunaux judiciaires prévoient que le tribunal peut nommer un séquestre si cela lui paraît juste ou opportun. Il n’y a pas de conditions préalables à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un tribunal de nommer un séquestre ou un administrateur-séquestre, et chaque cas est lié aux faits particuliers de l’espèce14. Les tribunaux peuvent tenir compte au minimum des éléments suivants pour déterminer s’il est juste ou opportun de nommer un séquestre : [Le tribunal prend en compte de nombreux facteurs pour décider d’accorder ou non l’ordonnance portant nomination d’un séquestre.]
- la garantie des prêteurs risque de se détériorer15;
- il est nécessaire de stabiliser et de protéger l’activité du débiteur;
- il y a une perte de confiance dans la gestion des débiteurs16;
- les positions et les intérêts des autres créanciers.
Dans BCIMC Construction Fund Corporation et al. v. The Clover on Yonge Inc.17, le tribunal a réitéré le principe bien établi selon lequel, en cas de défaillance des emprunteurs hypothécaires et lorsqu’il existe un droit contractuel de nommer un séquestre, cette mesure devient encore moins extraordinaire18. Les termes du contrat et les attentes des parties servent à déterminer ce qui est considéré comme juste ou opportun.
Historiquement, les tribunaux sont disposés à nommer un séquestre lorsque le débiteur ne s’est pas conformé aux documents de garantie pendant une période considérable, que la dette n’est pas contestée et que le débiteur n’exploite pas son entreprise19. La ligne de conduite à adopter est cependant nettement moins claire lorsqu’un créancier garanti important qui souhaite nommer un administrateur-séquestre rivalise avec une société débitrice qui cherche à obtenir la protection de la LACC pour conserver le contrôle de ses opérations.
Bras de fer entre le contrôleur proposé et le séquestre
Les tribunaux ne privilégient pas plus les procédures entreprises par les créanciers que celles enretreprises par les débiteurs, mais favorisent la méthode qui sert le mieux les intérêts des créanciers ou des autres bénéficiaires finaux de la procédure de restructuration20.
Les facteurs précis que les tribunaux prennent en considération pour choisir entre la LACC et la procédure de mise sous séquestre sont « axés sur les circonstances »21. Le tribunal, lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire, met en balance les intérêts concurrents des différents acteurs économiques concernés. Les tribunaux tiennent ainsi compte, entre autres, des circonstances suivantes : le paiement reçu par les demandeurs, l’atteinte à la réputation, la préservation des emplois, la rapidité du processus, la protection de toutes les parties prenantes, le coût, l’accès au financement, la confiance dans l’équipe de direction, la conduite antérieure de l’équipe de direction et la nature de l’entreprise22. Il n’y a pas de recette particulière pour réussir, mais les commentateurs ont regroupé ces intérêts concurrents dans quatre catégories : le préjudice causé aux créanciers, les avantages pour les créanciers, la probabilité de réussite dans le cadre de la LACC et les intérêts des autres parties prenantes23.
Il est aussi tenu compte du nombre de créanciers importants et de la relation qu’ils entretiennent. Si un créancier garanti unique devait en fin de compte assumer les risques et les coûts associés à une procédure en vertu de la LACC, une mise sous séquestre serait plus pertinente, surtout lorsqu’il est attendu que le financement du débiteur-exploitant entame la garantie du créancier24. Par ailleurs, la procédure de la LACC n’a guère de sens lorsqu’un créancier garanti qui cherche à obtenir un séquestre peut opposer son veto à tout plan d’arrangement s’il préfère exercer son droit contractuel de remboursement ou d’autres mesures de séquestre25.
Points à considérer et conclusion
Il n’y a pas d’approche standard pour déterminer si une procédure en vertu de la LACC est plus pertinente qu’une mise sous séquestre – de la même façon que les faits particuliers de chaque procédure de restructuration influenceront la voie à suivre. L’avocat, lorsqu’il prend part à une procédure contestée, doit examiner et soigneusement formuler les facteurs particuliers qui démontrent que la procédure demandée par son client procurera le meilleur résultat eu égard aux créanciers et aux parties prenantes économiques, comme les éléments pratiques ou les économies d’une mise sous séquestre, le respect des principes primordiaux de la LACC, afin de s'acquitter de cette exigence discrétionnaire. En dépit de cela, il convient de prêter une attention particulière aux fondements des redressements demandés, car le lien pourrait se rompre et les deux parties pourraient repartir sans avoir obtenu aucun des redressements demandés.
1 L.R.C. (1985), ch. C-36.
2 BENNETT, Frank. Bennett on Bankruptcy, 24e édition, (« Bennett on Bankruptcy »), à la page 1413; Edward Collins Contracting Limited (Re), 2022 NLSC 149.
3 Bennett on Bankruptcy, à la page 1413.
4 Romspen Investment Corp. c. 6711162 Canada Inc, 2014 ONSC 2781, au paragraphe 61; Hush Homes Inc., Re 2015 ONSC 370, au paragraphe 23.
5 Bennett on Bankruptcy, à la page 1376; la question de savoir si deux compagnies débitrices appartiennent au même groupe est définie à l’article 3(2) de la LACC.
6 Bennett on Bankruptcy, à la page 1377.
7 Edward Collins Contracting Limited (Re), 2022 NLSC 149, au paragraphe 160.
8 Inducon Development Corp. Re, 1991 CarswellOnt 219, au paragraphe 13.
9 L.R.C. (1985), ch. B-3.
10 Bennett on Bankruptcy, à la page 1384.
11 Bennett on Bankruptcy, à la page 1395.
12 Bennett on Bankruptcy, à la page 914.
13 Bennett on Bankruptcy, à la page 914.
14 Degroote c. DC Entertainment Corp et al., 2013 ONSC 7101, au paragraphe 53.
15 IF Propco Holdings (Ontario) 36 Ltd c. 1228851 Ontario Ltd, 2002 CarswellOnt 6613.
16 Callidus Capital Corp c. Carcap Inc., 2012 ONSC 163.
17 BCIMC Construction Fund Corporation et al. c. The Clover on Yonge Inc., 2020 ONSC 1953, paragraphes 43 et 44; Confederation Life Insurance Co c. Double Y Holdings Inc., 1991 CarswellOnt 1511, au paragraphe 20.
18 BCIMC Construction Fund Corporation et al. c. The Clover on Yonge Inc., 2020 ONSC 1953, au paragraphe 43.
19 Bennett on Bankruptcy, à la page 904.
20 Roman Catholic Episcopal Corporation of St. John's (Re), 2022 NLSC 81, au paragraphe 57.
21 Cliffs Over Maple Bay Investments Ltd c. Fisgard Capital Corp., 2008 BCCA 327; BCIMC Construction Fund Corporation et al. c. The Clover on Yonge Inc., 2020 ONSC 1953, au paragraphe 98.
22 BCIMC Construction Fund Corporation et al. c. The Clover on Yonge Inc., 2020 ONSC 1953, au paragraphe 61, Callidus c. Carcap, 2012 ONSC 163, au paragraphe 51.
23 OPOLSKY, Jeremy, Jacob BABAD et Mike NOEL (2020). Receivership versus CCAA in Real Property Development: Constructing a Framework for Analysis, CanLIIDocs 3602.
24 Affinity Credit Union 2013 c. Vortex Drilling Ltd, 2017 SKQB 228, au paragraphe 37.
25 BCIMC Construction Fund Corporation et al. c. The Clover on Yonge Inc., 2020 ONSC 1953, au paragraphe 101.