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Biens immobiliers commerciaux et résidentiels : stratégies de réalisation de l’actif
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Par Jeffrey Oliver, associé, Cassels, Brock & Blackwell LLP; Vanessa Allen, vice-présidente principale, MNP ltée et Liam Brunner, associé et directeur principal et responsable pour l’Ouest canadien, Évaluation et services-conseils, Avison Young
Introduction
L’année 2024 a été marquée par une augmentation du nombre de dossiers d’insolvabilité déposés, particulièrement dans le secteur de l’immobilier. Les taux d’intérêt élevés, les coûts de construction à la hausse, des travaux de développement plus chers, ainsi que des retards dans l’obtention de permis et d’autorisations de changement de zonage expliquent cette situation. Au cours du premier semestre 2025, voici les faits constatés à l’égard des dossiers d’insolvabilité dans l’immobilier :
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Alors que pour la période de 12 mois se terminant le 31 mai 2025, les dossiers d’insolvabilité d’entreprises (faillites et propositions) dans le secteur de l’immobilier, de la location et de la location avec option d’achat sont restées relativement stables, diminuant d’environ 4 % par rapport à l’année précédente, la période de 12 mois se terminant le 31 mai 2024 a vu une augmentation de 42 % des dossiers d’insolvabilité d’une année sur l’autre1;
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Au cours du premier semestre 2025, 30 mises sous séquestre ont été enregistrées au Canada, dont 24 en Ontario. Si le nombre de dossiers reste relativement constant jusqu’à la fin de l’année 2025, il est probable que l’on assistera tout de même à une augmentation par rapport à 2024, année au cours de laquelle cinquante-cinq mises sous séquestre ont été enregistrées dans le secteur de l’immobilier, dont 39 en Ontario2.
Points saillants du marché
Cet article présente les tendances actuelles et les prévisions dans le domaine de l’immobilier au Canada, mais ne vise à offrir une analyse détaillée du marché.
Tendances actuelles
Bien que les attentes se soient légèrement améliorées, l’activité reste faible au chapitre des immeubles de bureaux et des immeubles d’habitation. L’immobilier industriel reste le segment le plus solide du secteur immobilier canadien. En particulier, on constate ce qui suit :
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Dans le cas des immeubles de bureaux, les taux d’inoccupation restent globalement stables ou sont même à la baisse. Au cours du premier trimestre 2025, les taux d’inoccupation s’établissaient à 8,8 % à Winnipeg e à 21,9 % à Calgary3. Le nombre d’espaces sous-loués disponibles a continué à diminuer, les locataires privilégiant de plus en plus les nouvelles locations dont les prix sont relativement bas.
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En ce qui concerne les immeubles d’habitation, le coût élevé de la construction des ouvrages à forte densité a mis un frein à la construction de bâtiments en hauteur, ce qui a contribué au déficit de logements observé au Canada et dans la plupart des économies développées. Il convient de noter que la demande s’améliore dans la foulée de la stabilisation de l’inflation, de la baisse des taux d’intérêt et d’un meilleur taux d’emploi.
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Le secteur industriel reste solide malgré le ralentissement du marché de la location à l’échelle nationale. Alors que l’incertitude économique demeure un facteur dissuasif pour les locataires, l’investissement dans l’immobilier industriel continue de dominer le marché commercial.
Prévisions pour 2025-2026
Les prévisions pour l’année prochaine laissent entrevoir une amélioration générale des conditions fondamentales du marché et une plus grande disponibilité du crédit4; cependant, on s’attend à certaines turbulences dans le domaine des immeubles de bureaux et du logement collectif.
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Dans le cas des immeubles de bureaux, les conditions restent difficiles, sauf pour les immeubles de prestige. L’accent sera mis sur les prestations complémentaires uniques et les aménagements qui améliorent l’expérience des locataires5.
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Pour les immeubles d’habitation, on s’attend à une baisse de l’activité de construction à court terme en raison de la diminution de l’immigration, de l’augmentation récente de l’offre sur certains marchés et de la stagnation des perspectives de croissance des loyers6.
Les défis actuels montrent que les prêteurs et les professionnelles et professionnels de l’insolvabilité doivent faire preuve de patience et de créativité pour concevoir des stratégies qui permettront de maximiser la réalisation de l’actif.
Principaux éléments qui définiront la voie à suivre
Lors de l’évaluation des options de recouvrement pour l’immobilier commercial et résidentiel, les points présentés ci-dessous sont à prendre en considération pour maximiser la valeur récupérée par les prêteurs.
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Travaux nécessaires pour achever l’ouvrage ou travaux de réfection ou de rénovation visant à accroître l’attractivité du bien sur le marché :
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L’achèvement d’ouvrages inaboutis peut atténuer considérablement les pertes, à condition que l’expertise nécessaire soit disponible. Certains prêteurs disposent de cette expertise en interne, d’autres non. Nous notons que cette option peut être envisagée selon le cas en examinant les coûts des travaux d’achèvement par rapport à toute hausse potentielle du prix de vente.
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La tendance à vouloir des espaces de bureaux de qualité et une meilleure expérience de location devrait inciter les propriétaires de vieux immeubles à moderniser leurs bâtiments et à réaménager les espaces et les installations des parties communes.
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Examen minutieux de la stratégie globale de location : si des taux d’inoccupation trop élevés viennent réduire la valeur d’un bien immobilier, l’effet est le même si un nouveau locataire ou un loyer exigé ne correspondent pas au positionnement global sur le marché du bâtiment et à la proposition de valeur que l’on souhaite lui associer. Par exemple, si certaines mesures incitatives à l’intention des locataires peuvent sembler avantageuses à court terme, elles peuvent créer un précédent pour des négociations futures qui auront une incidence sur la rentabilité globale d’un bien immobilier.
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Autres possibilités de réalisation : d’autres sources de recouvrement sont accessibles sous diverses formes. En voici des exemples :
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La possibilité de débloquer des dépôts détenus par des compagnies d’assurance ou des organismes municipaux ou provinciaux à des étapes précises des travaux.
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Une autre possibilité pour une propriété commerciale est illustrée par l’exemple de mise sous séquestre d’un immeuble de bureaux situé dans le centre-ville de Calgary, appelé Plaza 1000. Dans cette affaire, un locataire avait négocié un bail avant la mise sous séquestre pour ensuite y renoncer. À la suite de négociations avec le séquestre, un accord a été conclu qui a permis de réaliser environ 1,5 million de dollars sur ce bien en raison de cette renonciation officielle.
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Les ordonnances de dévolution inversée sont également utilisées dans le cadre de transactions immobilières afin de préserver des avantages fiscaux, ce qui permet d’augmenter les montants récupérés par les créanciers. Il est à noter que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a récemment confirmé une décision rendue dans l’affaire British Columbia v. Peakhill Capital Inc. approuvant l’utilisation d’une ordonnance de dévolution inversée dans la structuration d’une transaction afin d’éviter le paiement de la taxe sur les transferts fonciers de la Colombie-Britannique7.
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Conditions du marché : comme indiqué ci-dessus, même si l’on s’attend à une certaine augmentation de la demande pour les immeubles d’habitation en 2025, des difficultés persistent pour les immeubles commerciaux et collectifs. Voici quelques points à prendre en considération à ce sujet :
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Le ralentissement de la demande peut obliger les prêteurs à adopter une stratégie à plus long terme ou non traditionnelle. Par exemple, l’existence de subventions municipales peut justifier un examen plus approfondi d’autres scénarios. À Calgary, où le taux d’inoccupation des bureaux était parmi les plus élevés, le Downtown Development Incentive Program prévoyait une subvention de jusqu’à 75 $ par pied carré d’espace de bureau converti en espace résidentiel (jusqu’à concurrence de 15 millions de dollars par projet)8.
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Comme les variations les plus marquantes des conditions de marché se trouvent dans le secteur des propriétés résidentielles, il faut adapter les stratégies de réalisation à la situation géographique. Les courtières et courtiers immobiliers de l’endroit disposent de plateformes comme Final Offer9, une plateforme d’enchères où on présente des offres en attente pour des biens immobiliers résidentiels. Dans un marché en pleine effervescence, ces plateformes peuvent être utilisées pour gonfler le prix de vente final, tandis que, dans les marchés au ralenti, elles servent à mousser l’intérêt sur le marché.
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Dans certaines régions, les coûts de construction élevés peuvent avoir une incidence sur la faisabilité des rénovations ou des aménagements nécessaires.
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Économies potentielles : lorsqu’un bien immobilier a été mal géré ou qu’il est l’objet de contrats défavorables, il est possible de réaliser d’importantes économies en résiliant les accords en place ou en les renégociant. Il est également possible de réduire les impôts fonciers en contestant les évaluations, sachant que la réduction de la valeur cadastrale peut, dans certains cas, avoir une incidence sur la valeur de réalisation perçue.
Préserver la valeur future
Si les procédures d’insolvabilité privilégient généralement des délais plus courts qui permettent aux prêteurs de déterminer la valeur de leurs pertes et de limiter les frais professionnels, une vision à plus long terme est de plus en plus souvent nécessaire pour préserver la valeur récupérée. Des exemples de stratégies de réalisation plus créatives sont présentés ci-dessous.
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Prolongation de la procédure : bien qu’une action en justice recèle certains avantages, comme a) la préservation du bien immobilier, b) la possibilité de résilier tout contrat défavorable et c) l’accès au tribunal pour régler tout problème à moyen ou long terme avec des tiers (associations de copropriétaires, organes municipaux et provinciaux, etc.), dans certains cas, il se révèle judicieux de prolonger la procédure pour permettre la mise en œuvre d’une stratégie de réalisation à long terme. Là encore, les coûts et les avantages d’une telle stratégie doivent être examinés pour chaque cas particulier.
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Accord d’octroi de délai de grâce à long terme consenti à la compagnie débitrice. En voici un exemple : en octobre 2023, une procédure de mise sous séquestre a été engagée à l’égard d’un grand immeuble commercial situé dans le centre-ville de Calgary, appelé Stephen Avenue Place. À la suite de discussions entre le débiteur et les prêteurs et d’une évaluation des options de réalisation à court terme, le bâtiment a été restitué au débiteur en janvier 2024 en vertu d’un accord d’octroi de délai de grâce à long terme. Cette manœuvre visait à donner aux deux parties la possibilité d’obtenir un meilleur résultat grâce à la mise en œuvre d’une stratégie de détention à plus long terme.
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Réalisation d’une offre basée sur créance par laquelle le prêteur obtient la propriété du bien immobilier dans le but de le conserver indéfiniment jusqu’à ce que les conditions de vente s’améliorent. Ce résultat offre au prêteur diverses possibilités pour maximiser la valeur, dont les suivantes :
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mise en en œuvre une stratégie de marketing à long terme, visant à atténuer le sentiment d’urgence réelle ou perçue entourant une transaction;
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mise en œuvre d’une stratégie actualisée de gestion immobilière à long terme, qui peut être structurée de manière à favoriser l’obtention des résultats souhaités;
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possibilité de superviser des ouvrages et des chantiers de construction à plus long terme;
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défaut des améliorations qualitatives d’aboutir à la proposition de valeur souhaitée, ce qui justifie une exploration des autres usages potentiels vu l’existence de subventions municipales;
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examen de la stratégie globale de location. Par exemple, le dépôt du dossier d’insolvabilité transfrontalière de WeWork a remis en question la viabilité d’une entreprise d’espaces de bureaux partagés et a mis en évidence la nécessité de trouver la structure la plus avantageuse pour ce modèle.
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Il convient de noter que lorsqu’une stratégie de détention à long terme débouche sur une offre basée sur créance, la mise sous séquestre qui précède laisse au prêteur la latitude nécessaire pour faire appel aux prestataires de services figurant dans la procédure de mise sous séquestre et procéder à une transition ordonnée du bien du séquestre au prêteur.
Conclusion
En conclusion, les défis du marché des immeubles commerciaux et d’habitation obligent les prêteurs ainsi que les professionnelles et professionnels de l’insolvabilité à se tourner vers des stratégies de réalisation créatives, exhaustives et, dans de nombreux cas, à plus long terme, afin de maximiser la valeur de ces actifs.
1 Gouvernement du Canada. Statistiques sur l’insolvabilité au Canada – Mai 2024; « tableau 3 : Dossiers d’insolvabilité déposés en vertu de la LFI par des entreprises » [En ligne].
2 Insolvency Insider Canada. Filing Database [En ligne, en anglais].
3 Avison Young. Calgary Office Market Report: Q1 2025.
4 CBRE Research. 2025 Perspectives sur le marché de l’immobilier au Canada (janvier 2025), page 16, [En ligne]. [https://www.cbre.ca/-/media/project/cbre/dotcom/americas/canada-emerald/insights/canada-market-outlook/2025-Canada-Real-Estate-Market-Outlook-FR.pdf].
7 British Columbia v. Peakhill Capital Inc. (2023 BCSC 1476, 2023 BCSC 1476)
8 City of Calgary. Revised Downtown Calgary Development Incentive Program Terms of Reference, 2023, p. 2.
9 Final Offer. « Final Offer Launches in Canada Bringing Transparency to the Canadian Real Estate Market », [En ligne], 25 avril 2024.