Articles de fond de la revue Rebuilding Success - Printemps/Été 2023 > La vie après la Covid : une volatilité accrue en perspective
La vie après la Covid : une volatilité accrue en perspective
Stephen Poloz, Conseiller spécial chez Osler, Hoskin et Harcourt, et auteur de The Next Age of Uncertainty
L’économie canadienne se portait très bien lorsque la pandémie a frappé au début de 2020. L’inflation atteignait exactement la cible recherchée de 2 %, et le chômage était à son plus bas niveau depuis 40 ans. Il n’y a pas de point de départ plus sain pour une économie qui est sur le point d’être frappée par un choc majeur, et tout comme une personne en bonne santé, une économie robuste peut se remettre de la COVID.
Toutefois, les économistes étaient unanimement pessimistes quant aux perspectives canadiennes au moment de l’arrivée de la COVID. Je me souviens bien qu’en avril 2020, alors que j’étais gouverneur de la Banque du Canada, nous avons choisi pour la première fois de ne pas fournir de prévisions économiques actualisées dans notre rapport sur la politique monétaire. Au lieu de cela, nous avons proposé deux scénarios de planification pour aider les gens à comprendre ce que l’économie traversait. Le scénario le plus optimiste supposait un arrêt relativement court des activités et une transition ordonnée vers des solutions virtuelles; le scénario le plus pessimiste, quant à lui, supposait un arrêt beaucoup plus long et des dommages considérables et durables à l’économie.
Il s’est avéré que l’économie canadienne a suivi de très près le scénario le plus favorable, dépassant toutes les attentes. Le bon point de départ mentionné plus haut a manifestement été très bénéfique, car d’autres pays ont connu des résultats moins enviables, mais les mesures prises pendant la crise ont également eu leur importance. Premièrement, la crise financière naissante a été étouffée dans l’œuf grâce au déploiement d’un large éventail d’outils financiers, notamment des taux d’intérêt nuls et un assouplissement quantitatif. Deuxièmement, le gouvernement a soutenu les personnes et les entreprises grâce à des programmes ciblés et évolutifs en fonction de la situation économique.
Dans le pire des scénarios, le ratio dette/PIB du gouvernement fédéral aurait probablement doublé, passant d’un respectable 30 % à 60 %. Même si la possibilité d’augmenter à ce point la dette publique semblait déconcertante, elle n’était pas sans précédent – un ratio d’endettement canadien de 60 % serait encore favorable comparativement aux 67 % atteints en 1994.
En l’occurrence, le ratio d’endettement du gouvernement fédéral a culminé à moins de 48 %. Il est maintenant prévu qu’il retombe en dessous de 40 % dans les quatre prochaines années. En cours de route, le gouvernement a également introduit de nouveaux programmes. Bien sûr, les mérites du plan financier du gouvernement sont sujets à débat, mais nous pouvons convenir que la « pire récession depuis la Grande Dépression » a été évitée avec succès, sans dommage majeur pour les finances du gouvernement.
Tout n’est pas rose pour autant. Comme dans de nombreux autres pays, l’inflation a atteint des niveaux jamais vus depuis plus de 30 ans. La majeure partie de cette hausse de l’inflation – de quelque quatre à cinq points de pourcentage – est due soit aux effets de l’invasion de l’Ukraine sur les prix des matières premières, soit à divers problèmes des chaînes d’approvisionnement internationales. Ces facteurs externes se sont tous inversés ou stabilisés, de sorte que la partie de l’inflation globale qui leur est due devrait continuer à diminuer au cours des prochains mois.
Le reste de l’inflation est d’origine intérieure. Elle est apparue parce que, comme d’autres banques centrales, la Banque du Canada a cherché à réduire au minimum le risque de déflation en laissant l’inflation revenir à 2 % avant de commencer à normaliser les taux d’intérêt. Cette stratégie était compatible avec un léger dépassement de l’inflation, qui aurait pu atteindre 3 à 4 %, mais les mesures prises au cours de l’année écoulée devraient inverser cette tendance, tout en empêchant l’inflation extérieure de se répercuter sur le marché intérieur. Il est presque certain que l’économie est plus sensible aux taux d’intérêt aujourd’hui que par le passé, et les effets de la hausse des taux seront renforcés par un resserrement quantitatif, étant donné que la banque centrale réduit la taille de son bilan. Toute réflexion faite, je m’attends à ce que l’inflation diminue plus rapidement que ne le prévoient la plupart des modèles économiques.
En d’autres termes, nous pouvons nous attendre à retrouver d’ici peu une situation proche de celle qui prévalait avant la pandémie. Il est naturel d’envisager, ou au moins d’espérer, un retour rapide à la tranquillité économique et financière. Cependant, d’autres forces agissant sur l’économie sont susceptibles de se manifester au cours de cette période, et leurs inévitables collisions laissent présager de nouveaux problèmes.
Premièrement, la main-d’œuvre mondiale vieillit rapidement, et les baby-boomers de l’après-guerre, qui sont entrés dans la vie active entre 1965 et 1985, prennent désormais leur retraite. Les marchés du travail resteront ainsi tendus pendant des années, ce qui entraînera un ralentissement de la croissance économique. La promotion d’une plus grande immigration au Canada peut contribuer à atténuer ce phénomène, mais nos infrastructures, notre marché du logement, notre système de soins médicaux – sans parler de notre système d’immigration – ne sont pas bien préparés à cela, de sorte que des tensions sont probables.
Deuxièmement, le monde vient d’entrer dans la quatrième révolution industrielle – la numérisation de notre économie. Il s’agit clairement d’une force positive, mais les trois révolutions industrielles précédentes (la machine à vapeur, l’électricité, la puce électronique) ont également été extrêmement perturbatrices pour les entreprises et les personnes. On estime qu’environ 15 % de la main-d’œuvre mondiale sera perturbée par cette vague technologique.
Troisièmement, pour enrayer le réchauffement de la planète, le monde aspire à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Il s’agit d’un changement structurel très complexe pour l’économie mondiale, notamment parce que la voie vers cet objectif n’est pas bien définie. Bien que la direction à prendre soit claire, l’incertitude quant à la voie que suivra l’économie canadienne continuera probablement à provoquer un effet de distorsion sur les décisions d’investissement.
Quatrièmement, la géopolitique mondiale est entrée dans une ère nouvelle et dangereuse. L’invasion de l’Ukraine par la Russie et les tensions croissantes entre la Chine et d’autres grandes puissances ont menacé la sécurité d’au moins trois éléments d’une importance existentielle : la nourriture, les engrais et le carburant. Il se trouve que le Canada est un important producteur de ces trois éléments, mais certains perçoivent une contradiction dans le fait de contribuer à résoudre les problèmes qui les entourent tout en tentant d’atteindre nos objectifs en matière d’émissions de carbone. De plus, les efforts visant à atténuer les risques qui pèsent sur les chaînes d’approvisionnement mondiales seront coûteux, et les économies dépendantes du commerce, comme le Canada, risquent d’être plus touchées que la plupart des autres.
Avec de telles forces tectoniques agissant sur nos perspectives économiques, il n’est pas étonnant que les prévisionnistes aient du mal à fournir des indications concrètes sur l’avenir. La situation est trop complexe pour les modèles économiques existants, quels qu’ils soient, ce qui laisse penser qu’il est vain d’essayer de les utiliser. Au lieu de bâtir un plan d’affaires autour d’une prévision économique, les entreprises devraient se préparer à un large éventail de scénarios possibles.
En bref, nous devons nous préparer à une volatilité encore plus grande dans tout ce qui touche l’économie et les finances : davantage de périodes d’expansion et de ralentissement, une probabilité plus élevée de perte d’emploi, un risque de variabilité de l’inflation plus important que ce que nous avons connu depuis plus de 30 ans et une volatilité financière très élevée. Dans cet environnement, les entreprises seront plus nombreuses que par le passé à disparaître, mais il est probable que plus d’entreprises seront également créées. Aujourd’hui, le Canada perd environ 40 000 entreprises par mois, tandis qu’un peu plus de 40 000 sont créées, ce qui entraîne une croissance régulière de leur nombre lorsque tout va bien. Ce roulement est l’illustration concrète de la destruction créatrice de Schumpeter, et un monde de plus en plus volatile est susceptible de l’accélérer.
L’augmentation du taux de roulement des entreprises va probablement améliorer les performances du Canada en matière de productivité, alors qu’il accusait un retard par rapport à la plupart des autres pays de l’OCDE depuis de nombreuses années. Certains attribuent au moins une partie de ce retard aux politiques gouvernementales qui atténuent les chocs économiques et permettent à des entreprises peu performantes de survivre. Cet effet a sans doute été amplifié par la pandémie, lorsque de nombreuses entreprises fragiles ont pu profiter des garanties de prêt du gouvernement, sans égard à leur situation. Nous observerons très certainement des taux de faillites d’entreprises supérieurs à la normale en 2023, mais un accroissement général de la volatilité pourrait transformer cette poussée en une tendance.
Étant donné que chaque faillite et chaque création d’entreprise nécessite des services juridiques, nos cadres juridiques seront soumis à une pression considérable dans l’environnement volatile que je décris. Notre système juridique est mal équipé pour gérer la situation actuelle – tout comme notre infrastructure sanitaire est mal équipée pour gérer une pandémie, sans parler des flambées saisonnières de maladies respiratoires ou de l’augmentation de l’immigration – et l’environnement auquel nous ferons face ne pourra que le mettre à rude épreuve.
La conclusion? Après près de trois années de turbulences économiques et financières, les ménages et les entreprises espèrent un retour à des temps relativement calmes. Ces espoirs risquent d’être anéantis par une période de volatilité croissante, engendrée par des forces tectoniques qui échappent à notre contrôle. S’adapter à l’évolution du paysage économique deviendra une préoccupation majeure pour chacun d’entre nous.