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Le dernier rappel… EncoreFX
Auteurs :
William EJ Skelly, associé, MLT Aikins LLP
Dana M. Nowak, associée, MLT Aikins LLP
Lien vers la décision : EncoreFX Inc. (Re), 2023 BCSC 39
Introduction
L’insolvabilité d’EncoreFX Inc. (EncoreFX) en mars 2020 a soulevé de nouvelles questions concernant la transition d’une procédure de faillite vers une procédure au titre de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36 (LACC). En particulier, la restructuration d’EncoreFX a donné lieu à des enjeux particuliers concernant le cadre juridique applicable aux procédures simultanées de faillite et au titre de la LACC d’une entreprise. En conséquence, le Bureau du surintendant des faillites (BSF) s’est impliqué dans la restructuration d’EncoreFX dans le but de conseiller la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la Cour) au sujet des politiques en vigueur dans le cas d’une transition de ce genre.
En outre, la nature des activités d’EncoreFX a donné lieu à une occasion unique d’examiner la portée de la Partie XII de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (LFI), qui s’applique aux « courtiers en valeurs mobilières » et qui a été une préoccupation que certaines parties prenantes d’EncoreFX ont soulevée.
Cet article aborde à la fois (i) les nouvelles questions relatives à la transition d’une faillite vers une restructuration au titre de la LACC; et (ii) les répercussions que la Partie XII de la LFI aurait pu avoir sur EncoreFX si elle s’était appliquée à la société.
Transition d’une procédure de faillite vers une procédure au titre de la LACC
EncoreFX offrait des services de gestion des risques de change (en anglais, « FX ») et des solutions de paiement transfrontaliers. Le 30 mars 2020, EncoreFX a procédé à une cession de biens (faillite) face à la volatilité des marchés découlant largement de la pandémie de COVID-19. Ernst & Young Inc. a été nommée syndic d’EncoreFX (le syndic).
La faillite est devenue une affaire extrêmement compliquée, en raison à la fois de la réalisation des actifs d’EncoreFX et de la définition des réclamations prouvables à l’encontre de l’actif d’EncoreFX. Le 30 mars 2021, le syndic a obtenu une ordonnance du tribunal transformant la faillite en une procédure au titre de la LACC (la transition), dont le but premier était de simplifier les aspects complexes de la faillite. Le syndic est alors devenu le contrôleur dans le cadre de la procédure d’EncoreFX au titre de la LACC (le contrôleur).
En approuvant la transition, la Cour a formulé les observations suivantes :
- La loi n’interdisait pas à EncoreFX de se placer sous la protection de la LACC malgré sa faillite.
- Le fait de permettre à EncoreFX de profiter d’une procédure plus souple au titre de la LACC était avantageux pour toutes les parties prenantes d’EncoreFX.
- La transition devait avoir lieu par l’entremise d’une ordonnance initiale au titre de la LACC plutôt que d’une ordonnance de conversion, cette dernière étant couramment utilisée lorsqu’une société fait la transition d’un avis d’intention de déposer une proposition en vertu de la LFI vers une procédure au titre de la LACC.
- La faillite devait demeurer en vigueur, mais serait suspendue en attendant la conclusion de la procédure d’EncoreFX au titre de la LACC.
La procédure au titre de la LACC avait été préparée à l’avance et s’est déroulée rapidement. En avril 2021, le contrôleur a déposé un plan d’arrangement (le plan) et, en mai 2021, le plan a été approuvé par les créanciers concernés et par la Cour. En novembre 2022, le contrôleur a obtenu une ordonnance concluant la procédure au titre de la LACC et libérant le contrôleur.
Une question restait en suspens pour la Cour : comment traiter la faillite toujours en cours d’EncoreFX? EncoreFX était toujours un failli en vertu de la LFI, bien que ses actifs et ses dettes aient été pris en charge au cours de la procédure au titre de la LACC. Plus précisément, la Cour devait déterminer s’il convenait d’annuler la faillite et, dans l’affirmative, s’il fallait le faire ab initio.
La question de l’annulation de cette faillite intéressait tout particulièrement le BSF, qui a échangé avec le syndic pour présenter à la Cour les questions suivantes en matière de politique afin qu’elle les examine :
- La LFI contient une lacune fonctionnelle concernant le traitement des procédures de faillite lors de l’octroi d’une ordonnance initiale au titre de la LACC. De même, le paragraphe 61(1) de la LFI autorise expressément un tribunal à annuler une faillite dès qu’il approuve une proposition déposée en vertu des dispositions de la LFI. Aucun mécanisme de ce genre n’existe dans la LFI pour mettre fin à une procédure de faillite lorsqu’un failli obtient une ordonnance initiale au titre de la LACC.
- L’objectif actuel de la réforme législative est d’harmoniser autant que possible les aspects du droit de l’insolvabilité commun aux différents ensembles de lois, de manière à dissuader les personnes à « magasiner les lois » et à éviter les « incitatifs biaisés allant à l’encontre d’une réorganisation en vertu de la LACC ». Century Services Inc. c. Canada, 2010 SCC 60, paragraphes 24 et 47.
- La transition d’un failli vers une procédure au titre de la LACC devrait correspondre à une transition vers une proposition en vertu de la section I de la LFI, paragraphe 61(1) : la faillite devrait être annulée ab initio, sous réserve des clauses de protection appropriées.
La Cour a statué que la faillite devait être annulée (annulation), mais a refusé de le faire ab initio pour les raisons suivantes :
- En ce qui concerne l’interprétation harmonieuse des lois, il est difficile de concevoir que le Parlement ait voulu qu’une faillite se solde par un résultat différent au terme d’une proposition fructueuse subséquente en vertu de la LFI et d’un plan d’arrangement fructueux subséquent en vertu de la LACC. Toutefois, le Parlement n’a pas jugé bon de prévoir expressément l’annulation automatique d’une faillite dans le dernier de ces deux cas.
- Le paragraphe 181(1) de la LFI prévoit uniquement l’annulation d’une faillite si le tribunal détermine « qu’une ordonnance de faillite n’aurait pas dû être rendue ».
- L’annulation d’une faillite est une mesure discrétionnaire qui doit être utilisée avec parcimonie, dans des circonstances particulières. Quand il exerce ce pouvoir discrétionnaire, un tribunal doit tenir compte de tous les intérêts de l’ensemble des parties prenantes, y compris les créanciers, le failli et les tiers, et parvenir à un équilibre entre ces intérêts.
- EncoreFX a pris la décision urgente de déclarer faillite avant que les opérations sur les marchés de change ne commencent le 30 mars 2020. Toutes les options autres que le dépôt immédiat d’une cession en faillite auraient nécessité du temps, ce qu’EncoreFX et ses parties prenantes n’avaient pas.
- Le dépôt de la cession était une mesure appropriée à prendre, compte tenu des renseignements qu’EncoreFX et le syndic connaissaient à ce moment-là. L’information cruciale dont on pouvait avoir connaissance n’était pas encore à la disposition d’EncoreFX à la date de la faillite, mais elle est ensuite devenue connue, et portait notamment sur ce qui suit : (i) certaines sûretés relatives à EncoreFX étaient insuffisantes; (ii) certaines réclamations visant les biens allaient être refusées; et (iii) la banque d’EncoreFX allait permettre que soient effectués des transferts électroniques de fonds malgré la suspension des procédures au titre de la LFI.
- Si EncoreFX avait eu suffisamment de temps pour comprendre l’ensemble des faits et étudier les questions susmentionnées, elle aurait choisi la voie de la LACC, car elle servait mieux les intérêts des parties prenantes d’EncoreFX.
- Les créanciers d’EncoreFX ne disposaient d’aucun intérêt résiduel sur l’actif du failli qui aurait pu être signifié en refusant l’annulation.
- L’octroi de l’annulation n’a entraîné aucune répercussion défavorable sur l’intérêt public ni sur la préservation de l’intégrité du processus de faillite.
- L’interprétation de l’article 181 comme une disposition permettant une annulation dans les circonstances uniques d’EncoreFX est conforme aux objectifs législatifs du régime d’insolvabilité au Canada. Ces objectifs comprennent de favoriser autant de souplesse qu’approprié pour permettre aux créanciers de définir des solutions novatrices à des problèmes financiers qui peuvent s’avérer complexes, le tout au profit des parties prenantes.
- Le moment de l’annulation (c.-à-d. ab initio ou à la date de l’ordonnance) n’avait aucune incidence sur la validité de toute mesure prise par le syndic ou des ordonnances rendues par la Cour. Le paragraphe 181(2) de la LFI fonctionne de manière à protéger les mesures prises par le syndic de mars 2020 à mars 2021, et la Cour a approuvé diverses opérations pendant la procédure au titre de la LFI au cours de cette période. Par la suite, les actions du syndic dans le cadre de la procédure au titre de la LACC ont été autorisées par ordonnance du tribunal. Il n’était donc pas nécessaire de déterminer si une cession de biens devait être annulée en vertu du paragraphe 181(1) ab initio.
Le BSF a joué un rôle de premier plan en présentant à la Cour des questions générales de politique concernant l’annulation.
Il est important de retenir de l’affaire EncoreFX qu’il faut savoir quand informer le BSF de nouvelles questions d’insolvabilité dans le cadre d’une procédure formelle d’insolvabilité. Le BSF pourrait vouloir présenter des arguments de nature politique à un tribunal dans le but de préserver l’intégrité et la cohérence des régimes formels d’insolvabilité du Canada.
Examen de la Partie XII de la LFI
La Partie XII de la LFI s’applique aux courtiers en valeurs mobilières, soit toute personne qui « achète des titres à un client ou pour celui-ci ou vend des titres à un client ou pour celui-ci […] et notamment celle qui a l’obligation de s’inscrire pour avoir le droit de conclure avec le public des opérations sur les titres[…] ». Au sens de cette loi, on entend par titres « les documents — écrits ou sur support électronique — reconnus comme tels », y compris les contrats financiers admissibles.
La Partie XII de la LFI simplifie les faillites des courtiers en valeurs mobilières en éliminant les réclamations de fiducies clientes concurrentes. Concrètement, un syndic de courtier en valeurs mobilières a uniquement le droit de gérer les espèces et les titres dévolus au syndic en vertu de l’article 261 de la Partie XII de la LFI : Farm Mutual Financial Services Inc. (Re), 2009 CanLII 56737 (ONSC), au paragraphe 47. Les fonds détenus au nom d’un client ne font pas partie de l’actif du failli et doivent être restitués au client. Les biens qui seraient autrement dévolus au syndic sont regroupés dans un « fonds des clients » ou un « fonds général ». Le fonds des clients est distribué aux clients au prorata de leurs capitaux nets : LFI, article 253 et paragraphe 262(1).
Bien qu’EncoreFX ait pu répondre à la définition de courtier en valeurs mobilières au titre de la Partie XII de la LFI, aucune des opérations d’EncoreFX n’était un contrat financier admissible. Il s’agissait plutôt d’opérations de gré à gré et privées, ce qui ne relève pas de la portée de la Partie XII de la LFI et des lois applicables en matière de valeurs mobilières.
Si la Partie XII de la LFI s’était appliquée à EncoreFX, les clients dont les fonds étaient détenus par le syndic auraient bénéficié d’un fonds des clients qui leur aurait permis d’être payés au prorata à partir de ce fonds en priorité par rapport aux autres créanciers d’EncoreFX, à l’exception des créanciers garantis, conformément à la LFI, paragraphe 254(5). Un tel droit aurait eu des répercussions incorrectes et défavorables sur les droits des autres créanciers d’EncoreFX, notamment ceux détenant des réclamations valides et exécutoires visant les biens.
Pour déterminer si la Partie XII de la LFI s’applique à une faillite, il est essentiel de se demander si le failli répond à la définition de courtier en valeurs mobilières. Dans l’affirmative, le syndic doit également déterminer si les clients d’un failli : (i) ont le droit de récupérer la totalité de leur investissement en vertu d’un compte à leur nom; (ii) peuvent récupérer leur investissement au prorata des autres clients par l’entremise d’un fonds des clients, ou (iii) sont simplement des créanciers non garantis qui ont le droit d’être payés au prorata à partir d’un fonds général.
Le dernier rappel
Le cas d’EncoreFX établit un précédent parce qu’il met en lumière les pratiques exemplaires à suivre lors de la conversion d’une procédure de faillite à une procédure au titre de la LACC, processus pour lequel il existe peu de jurisprudence. L’impact d’EncoreFX sur les faillites commerciales et les faillites de consommateurs (le dernier cas se rapportant à une proposition faite par un consommateur hors de la faillite) reste à déterminer. Bien qu’il soit possible que l’affaire d’EncoreFX soit une décision isolée fondée sur les circonstances uniques d’EncoreFX, il est plus probable qu’elle oriente les tribunaux, le BSF et les professionnels de l’insolvabilité en ce qui concerne les pratiques exemplaires à adopter lors de la transition d’une faillite à un autre régime d’insolvabilité formel afin d’uniformiser et de faciliter l’administration d’une faillite complexe.