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Au cœur du mystère de Magical
La nécessité d’une action collective accrue au service de la profession de SAI
Par Douglas Hoyes, B.A., CPA, CA, PAIR, SAI, CBV, cofondateur, Hoyes, Michalos & Associates Inc., et Howard Manis, avocat-conseil, Manis Law
L’une des tâches les plus fondamentales d’un syndic ou d’un administrateur de proposition de consommateur est de vérifier les preuves de la réclamation présentées par les créanciers. Dans la plupart des cabinets de SAI, cette tâche incombe au personnel administratif, et non aux SAI de niveau principal.
Il est fréquent que les preuves de réclamation présentent une erreur – la date d’insolvabilité peut être incorrecte, ou les documents à l’appui de la réclamation peuvent être inappropriés. Le plus souvent, le personnel administratif du cabinet de SAI communique avec le créancier pour l’informer de ces erreurs, et une réclamation révisée est envoyée, puis admise.
Or, que faire si le représentant du créancier, lorsqu’un membre de votre personnel de niveau subalterne l’informe que la preuve de réclamation contient des erreurs, lève le ton envers ce membre de votre personnel et menace de déposer une plainte auprès du BSF et de faire en sorte qu’il soit congédié? Les syndics ont une « carapace »; ils sont habitués qu’on crie après eux. Le personnel administratif de niveau subalterne ne sera peut-être pas encore « adapté » dans la même mesure à ces situations, et quoi qu’il en soit, il ne devrait pas avoir à tolérer ce genre de comportement abusif.
Lorsqu’un SAI est aux prises avec une preuve de réclamation erronée et un créancier agressif, deux options s’offrent à lui. La solution la plus simple est d’admettre la réclamation. Vous savez qu’elle est inexacte, mais c’est un « crime sans victime ». Le créancier intransigeant recevra un dividende excessif, mais cet excès ne sera probablement pas de valeur importante, et les autres créanciers n’obtiendront pas leur juste part. Toutefois, comme les autres créanciers sont de grandes banques et sociétés émettrices de cartes de crédit, qu’est-ce que cela change? Comme les honoraires du SAI sont fondés sur la valeur des fonds distribués, et non sur l’entité à qui ces fonds sont remis, la voie de la moindre résistance consiste à accepter la réclamation et à passer à autre chose.
Cependant, la solution adéquate est de rejeter formellement la réclamation. Le processus de rejet est fastidieux et coûteux. Le syndic est tenu d’envoyer au créancier une lettre par courrier recommandé ou par messagerie (envoi dont le coût n’est pas remboursé au SAI dans le cadre d’une administration sommaire de faillite ou d’une proposition de consommateur), et si le créancier s’oppose au rejet, il est nécessaire de procéder à une audition devant tribunal pour ce rejet – audition à laquelle le SAI ou son avocat doit assister, ce qui entraîne des coûts qui, une fois de plus, ne sont généralement pas une dépense remboursable.
Il est facile de comprendre pourquoi un SAI pourrait opter pour la première solution et choisir la voie de moindre résistance.
Ce qui nous amène à la triste saga de Magical Credit. Magical Credit est un « prêteur non traditionnel » et le « directeur des services juridiques » a formulé des objections lorsqu’on l’a informé que ses preuves de réclamation étaient inexactes. Même la réclamation n’avait pas été préparée de façon professionnelle. Elle n’avait pas été rédigée au crayon, mais la présentation générale en donnait l’impression. Elle présentait de nombreuses erreurs. Les objections aux demandes légitimes du personnel administratif étaient déplacées et formulées avec un ton belliqueux. Le créancier a refusé de modifier la réclamation et un rejet a été émis.
Une audition sur le rejet a été planifiée, mais quand nous avons réalisé qu’une audition avec un créancier belliqueux ne serait pas fructueuse, nous avons invoqué la règle 15.01(2) des Règles de procédure civile. Nous avons demandé que la juge puînée rende une décision qui exigeait que Magical Credit soit représentée par un avocat et pas seulement par un employé non qualifié.
Au terme de plusieurs auditions sur une période de 12 mois, le 6 avril 2022, la juge puînée Jean a ordonné que Magical Credit soit représentée par un avocat. Le 24 mars 2023, la juge Steele a présidé l’appel, par Magical, de la décision de la juge puînée Jean (devant 40 observateurs au cours de l’audition virtuelle, dont bon nombre étaient des SAI de partout au Canada – il semble que notre cabinet n’ait pas été le seul avec qui le prêteur ait interagi) et le 28 avril 2023, la juge Steele a rendu une décision rejetant l’appel de Magical. Le 7 septembre 2023, Magical a fait parvenir des avis de désistement aux divers tribunaux de l’Ontario auprès desquels le prêteur s’était opposé aux rejets, et cette triste saga a officiellement pris fin.
Le texte intégral de la décision est accessible sur Canlii : https://canlii.ca/t/jx6tk.
Quelles leçons peut-on tirer de cette sordide saga?
Étant donné que le processus judiciaire a duré plus de deux ans et qu’il a entraîné des coûts importants en termes de temps et d’honoraires juridiques pour le syndic (dont une partie a été récupérée grâce à une attribution considérable de dépens en défaveur de Magical), un syndic devrait-il fermer les yeux et permettre aux créanciers de faire ce que bon leur semble? C’est une conclusion raisonnable, mais souhaitons-nous exercer une profession dans laquelle les règles ne sont pas respectées?
Si un SAI ne s’oppose pas à une preuve de réclamation erronée – un sujet d’importance relativement négligeable –, s’opposerait-il à une conduite plus répréhensible (comme le fait qu’un failli sous-estime son revenu pour réduire ses obligations en matière de revenu excédentaire ou qu’il dissimule des actifs)?
Si les SAI ne font pas leur travail, avons-nous besoin de SAI? Peut-être que le BSF pourrait administrer par voie électronique tous les dossiers d’insolvabilité, ce qui éliminerait la nécessité des SAI. Ou peut-être encore que des consultants en endettement, non réglementés et sans licence, qui contrôlent déjà une part importante du marché, pourraient reprendre tous les aspects de l’administration des dossiers.
À court terme, le fait d’ignorer les preuves de réclamation inexactes nous facilite la vie. À long terme, SI nous ne jouons pas un rôle utile, la réglementation pourra veiller à ce que nous n’existions plus.
Les Canadiens ont un niveau d’endettement record. Bon nombre d’entre eux ne seront pas en mesure de rembourser cette dette et seront confrontés à des saisies de salaire, un gel de leurs comptes bancaires et d’autres méthodes de recouvrement.
Vers qui se tourneront-ils pour obtenir de l’aide?
- Les services à but non lucratif de conseillers en crédit (qui sont tous tenus d’avoir une licence d’agent de recouvrement)?
- Les consultants en endettement non réglementés et sans licence qui facturent des frais élevés dès le départ et offrent un service discutable?
- Ou bien les syndics autorisés en insolvabilité qui possèdent de nombreuses années de formation et d’expérience pratique, qui doivent respecter un code de conduite et qui sont réglementés par le gouvernement fédéral?
Les débiteurs sont mieux servis par des conseillers professionnels compétents, autorisés et réglementés, mais les SAI continueront seulement d’exister si nous nous acquittons de nos tâches comme le stipulent la LFI et les instructions.
La saga Magical aurait pris fin plus tôt si tous les SAI avaient rejeté chacune des preuves de réclamation qu’ils avaient reçues de la part de ce prêteur. Magical s’est plutôt sentie enhardie en raison du fait qu’elle a été en mesure d’intimider certains SAI, et, en conséquence, la saga a duré deux ans de plus qu’elle ne l’aurait dû.
Cela ne veut pas dire que tous les syndics ont agi de manière inappropriée. Comme nous l’avons mentionné au début de cet article, les preuves de réclamation sont traitées par du personnel de niveau subalterne. Comme les membres du personnel administratif ne disposent pas de mécanisme pour communiquer avec d’autres cabinets de SAI lorsqu’ils sont aux prises avec ce genre de problèmes, il est possible que tous aient supposé qu’il s’agissait d’incidents isolés et qu’aucune autre mesure ne devait être prise.
La profession, peut-être par l’intermédiaire de l’ACPIR, devrait mettre sur pied une plateforme de discussion en ligne (page Reddit pour les SAI) afin que lorsque surviennent des problèmes, nous puissions communiquer instantanément avec nos collègues et unir nos forces pour les résoudre rapidement.
Lorsque nous travaillons ensemble, nous en profitons tous. La juge Steele nous a donné raison parce que nous avions les faits de notre côté, mais le fait qu’elle ait vu 40 SAI dans la salle d’audience n’a pas nui à notre cause.
Lorsque, comme syndics autorisés en insolvabilité, nous mettons nos différences concurrentielles de côté pour travailler au service du bien commun, nous en profitons tous, et cet esprit de collaboration devrait être encouragé en temps opportun. Cet esprit de collaboration, même en contexte de concurrence, était évident lorsque l’ACPIR a été fondée. Voilà un autre domaine où nous pouvons en tirer parti à notre avantage.