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Perspectives mondiales pour 2025 : dans l’ombre des droits de douane
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Par Douglas Porter, CFA, économiste en chef et directeur général, BMO Groupe financier
Au cours des premiers mois de l’année 2025, les prévisionnistes économiques sont confrontés à un sérieux problème de dissonance cognitive : nous continuons à prévoir une croissance régulière et une inflation modérée, même lorsque nous sommes confrontés à des risques en cascade qui pourraient facilement conduire à des résultats tout autre que « réguliers ou modérés ». Pour être juste, disons que les indicateurs vont dans les deux sens. En effet, les risques géopolitiques et commerciaux laissent présager une baisse, mais la robustesse des marchés financiers laisse entrevoir une hausse de la croissance pour cette année. Il est à noter que cette position est assez similaire à celle d’il y a un an (un climat géopolitique tendu et des marchés solides) et que 2024 a finalement été caractérisée par une croissance stable dans la plupart des grandes économies avec une inflation modérée.
Un bref retour sur l’année dernière montre que les analystes ont été globalement trop prudents quant aux perspectives de croissance, en particulier en ce qui concerne l’infatigable économie américaine. En revanche, ils avaient plutôt raison sur le ralentissement de l’évolution des prix à la consommation. Ainsi, après deux années au cours desquelles l’inflation régnait en maître, les banques centrales ont pu entamer le processus de baisse des taux d’intérêt, bien qu’à des rythmes très différents. La Réserve fédérale américaine n’a pas mené la baisse en douceur, mais les 100 points de base de réduction des taux de l’année dernière correspondaient précisément à ce que nous anticipions au début de 2024. La grande surprise aux États-Unis a été une nouvelle année de croissance du PIB de près de 3 %, mais cette croissance a été alimentée par de solides gains de productivité, de sorte que l’inflation a diminué et le chômage a légèrement augmenté, comme cela était prévu dans les grandes lignes.
La combinaison favorable d’une croissance toujours solide, d’une inflation apaisée et d’un assouplissement de l’action des banques centrales a permis aux marchés boursiers mondiaux d’atteindre des niveaux record au début de l’année 2025. Étant donné que les actions tendent à mener l’économie et que les banques centrales ont abaissé leurs taux de manière importante, l’inflation étant de nouveau proche du niveau cible, nous devrions normalement nous attendre à une croissance économique vigoureuse au cours de l’année à venir. Mais le protectionnisme commercial qui s’installe incite à la prudence, en particulier en ce qui concerne le Canada, le Mexique et la Chine.
Que réserve l’année 2025 pour l’économie mondiale? Après l’année des élections en 2024, le pouvoir pourrait changer de mains dans d’autres grandes puissances économiques cette année, notamment au Canada, mais aussi en France, en Allemagne et en Corée du Sud. En dépit de l’agitation politique et de l’importante incertitude commerciale, les perspectives de croissance restent positives grâce à la solidité des marchés financiers, aux baisses de taux des banques centrales, à la baisse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, et à la normalisation des chaînes d’approvisionnement. Même avec la menace des droits de douane, nous prévoyons que l’économie mondiale enregistrera une nouvelle année de croissance du PIB réel d’approximativement 3 %, soit un peu moins que la moyenne à long terme d’environ 3,5 %. Toutefois, les droits de douane américains laissent planer un risque de ralentissement.
Parmi les grandes économies, les États-Unis restent les plus performants, et l’on prévoit que leur croissance ne subira qu’un léger ralentissement en 2025. Cependant, nous nous attendons à ce que le taux de chômage augmente à mesure que les gains de productivité se poursuivront. Un marché du travail moins tendu et des tendances inflationnistes un peu moins marquées devraient permettre à la Réserve fédérale américaine de continuer à réduire progressivement ses taux, même si cela est retardé par l’incertitude qui entoure les conséquences des droits de douane. Nous anticipons des réductions supplémentaires de 50 points de base en 2025. Cela ramènerait le taux du financement à un jour entre 3,75 % et 4,00 % d’ici la fin de l’année, ce qui est toujours considéré comme quelque peu restrictif. Il ne faut pas oublier le mot magique : productivité. En outre, l’effet inflationniste de tout allègement fiscal en provenance de Washington ne se ferait sentir qu’en 2026, tandis que l’incidence des frictions commerciales et des coupes massives dans les dépenses publiques sur la croissance interviendra plus tôt.
Les analystes débattent beaucoup du degré du risque inflationniste que les droits de douane font peser sur l’économie américaine. Mais l’évolution du risque en soi ne fait guère de doute, car il est probable qu’au moins une partie de l’incidence des droits de douane se répercute sur les prix à la consommation. Ce risque accru, alors que l’inflation de base aux États-Unis s’est maintenue juste au-dessus de 3 % et que la croissance est restée solide, devrait inciter la Réserve fédérale à rester en retrait pendant un certain temps encore.
À contre-pied de la résilience affichée à l’échelle mondiale, l’Europe se débat avec une croissance du PIB inférieure à 1 %. L’Allemagne et son nouveau gouvernement sont particulièrement en difficulté, affichant une légère contraction pour la deuxième année consécutive, car ses principales industries d’exportation (automobiles et biens d’équipement) sont confrontées à la concurrence chinoise et, désormais, à d’éventuels droits de douane américains. La France doit composer avec des données budgétaires difficiles et une certaine incertitude politique. Cependant, les petites économies de la zone euro se portent beaucoup mieux, et les baisses de taux de la Banque centrale européenne (BCE) seront salutaires en 2025. La situation est similaire en Grande-Bretagne où la croissance du PIB est restée inférieure à 1 %, où l’inflation est proche de 3 % et où la Banque d’Angleterre procède à un assouplissement, quoiqu’avec plus de prudence que la BCE. Ces deux régions ont jusqu’à présent évité d’être le centre d’attention du président américain en ce qui concerne les droits de douane. Il est peu probable que le Royaume-Uni soit particulièrement visé, étant donné qu’il accuse un déficit commercial avec les États-Unis, mais l’éventualité de droits de douane généralisés constitue un risque à prendre en compte.
L’économie chinoise est parvenue à enregistrer une croissance légèrement supérieure à nos prévisions l’année dernière, bien que sa progression de 5 % repose en grande partie sur les exportations. La crise immobilière se poursuit et pèse sur les dépenses intérieures, mais la Chine s’est engagée à mettre en place des mesures de relance monétaire et budgétaire énergiques. L’économie va en avoir besoin, car le président américain Trump a déjà imposé des droits de douane supplémentaires sur les marchandises chinoises, et rares sont ceux qui pensent qu’il bluffe lorsqu’il évoque d’autres mesures. Nous pensons que le contexte commercial plus rigoureux ramènera la croissance du PIB de la Chine à 4,3 % en 2025.
En ce qui concerne les perspectives pour le Canada, le contexte de la croissance mondiale et la stabilité générale des prix des produits de base ont pour l’essentiel un effet neutre. Malheureusement, c’est loin d’être le cas du contexte commercial. Comme l’a fait remarquer la Banque du Canada, les droits de douane de 25 % imposés par les États-Unis « constituent une nouvelle source importante d’incertitude ». En effet, des droits de douane généralisés d’une telle ampleur surpassent presque tous les autres problèmes qui touchent l’économie canadienne. Même si les droits de douane sont modérés ou, dans le meilleur des cas, annulés, l’incertitude profonde qu’ils génèrent assombrit les perspectives d’investissement.
Les droits de douane et les sévères représailles sont apparus au moment même où l’économie canadienne semblait s’améliorer sur le plan intérieur. Les ventes de logements et d’automobiles sont désormais visiblement stimulées par la baisse des taux d’intérêt, les taux d’endettement des ménages diminuent rapidement et une modeste relance budgétaire permettra d’augmenter encore les dépenses intérieures en 2025. Hélas, la croissance atteindra difficilement 0,5 % dans un contexte de droits de douane (même en supposant des réponses monétaires et fiscales très stimulantes). Notre scénario de référence prévoit maintenant 100 points de base de réduction des taux d’intérêt par la Banque du Canada, en plus des 200 points de base de l’année dernière, qui atteignaient un sommet à l’échelle mondiale, ce qui ramènerait le taux du financement à un jour à 2,0 % d’ici le milieu de l’année.
Contrairement à la Réserve fédérale, on s’attend à ce que la Banque du Canada continue à faire baisser les taux, peut-être même de manière énergique. Il est vrai qu’il n’est pas évident de savoir comment la Banque du Canada réagira à une guerre commerciale, d’autant plus que l’inflation sous-jacente est repartie à la hausse ces derniers mois et que la croissance de l’emploi a, d’une certaine façon, repris de la vigueur. Mais nous pensons que les inquiétudes concernant l’effet négatif d’une guerre commerciale sur la croissance l’emporteront sur celles qui concernent l’inflation au Canada. Il est donc très probable que les droits de douane, s’ils sont appliqués sur une période significative, pèseraient suffisamment sur la croissance pour accélérer l’assouplissement de la Banque du Canada et peut-être faire baisser les taux d’intérêt au-delà de ce que nous prévoyons actuellement.
Le dollar canadien a subi des pressions soutenues en raison de perspectives commerciales sombres et de la vigueur générale du dollar américain, tombant à son plus bas niveau depuis 20 ans, sous la barre des 70 cents (plus de 1,44 $/$ US). Une série de baisses de taux étonnamment soutenues de la part de la Banque du Canada lui a donné une impulsion initiale, mais la menace des droits de douane américains et la hausse généralisée du billet vert ont été les coups les plus durs. Il faudra une détente commerciale pour redresser le cours du huard. Une guerre commerciale totale et prolongée le fera chuter bien plus bas.