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Poonian c. BC Securities Commission
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Par Haddon Murray, associé, Gowling WLG (Canada), Heather Fisher, associée, Gowling WLG (Canada), et James Aston, associé, Gowling WLG (Canada)
La Cour suprême du Canada a récemment rendu sa décision dans l’affaire Thalbinder Singh Poonian c. British Columbia Securities Commission. L’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation (ACPIR) est intervenue dans cette affaire pour présenter des observations à la Cour.
L’affaire découle d’une décision rendue par la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique (la « Commission »), qui a statué que les Poonian avaient eu recours à un stratagème de manipulation du marché. La Commission leur a ordonné de payer 13,5 millions de dollars à titre de sanctions administratives pécuniaires (les « SAP ») et environ 5 millions de dollars à titre de remise des sommes tirées de leur stratagème.
Les Poonian ont ensuite procédé à des cessions de faillite.
Ils ont présenté une demande de libération de faillite qui a été rejetée, et la Commission a demandé qu’une ordonnance soit rendue prévoyant qu’en application du paragraphe 178(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B-3 (la « LFI »), les sommes dues par les Poonian à la Commission ne puissent être libérées par aucune ordonnance de libération. La Cour suprême et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique ont statué que les dettes ne pourraient pas être effacées.
L’intervention de l’ACPIR
Neuf parties sont intervenues dans l’appel devant la Cour suprême du Canada, dont l’ACPIR (qui était représentée par les auteurs du présent article).
L’ACPIR a fait valoir que le paragraphe 178(1) de la LFI devait être interprété conformément au régime de la LFI, en particulier le pouvoir discrétionnaire du tribunal de faillite de fixer les conditions de la libération d’un failli (ou de refuser la libération) en vertu de l’article 172. Comme le paragraphe 178(1) interfère avec le pouvoir discrétionnaire du tribunal, il doit être interprété de manière restrictive. Par conséquent, l’ACPIR a soutenu que la meilleure façon de traiter les SAP était de permettre au tribunal de faillite de rendre une ordonnance de libération qui concilie les intérêts du débiteur et des créanciers ainsi que l’intégrité du système de faillite, plutôt que d’appliquer de manière non discrétionnaire l’alinéa 178(1)a) ou 178(1)e) de la LFI, ce dernier cas débouchant nécessairement sur un « tout ou rien ».
Toutefois, l’ACPIR a également fait valoir que les ordonnances de remise étaient en fait le regroupement des réclamations de chaque victime qui, autrement, subsisteraient après la libération du failli. Comme la Commission agit en tant qu’intermédiaire et qu’il existe un mécanisme de paiement aux victimes des sommes remises, les ordonnances de remise devraient subsister après la libération.
En fin de compte, la position de l’ACPIR a été celle des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada, qui ont conclu que les SAP ne subsistent pas après la libération, mais que les ordonnances de remise survivent à la faillite.
Les sanctions administratives et les ordonnances de remise de la Commission dans le cadre des alinéas 178(1)a) et 178(1)e)
La Cour suprême s’est tout d’abord penchée sur l’alinéa 178(1)a) de la LFI, qui prévoit que, même s’il obtient une ordonnance de libération de faillite, le failli n’est pas libéré des amendes, des pénalités ou des ordonnances de restitution infligées ou rendues par un tribunal pour la sanction d’une infraction. La Cour suprême a estimé que, bien que le terme « infraction » puisse avoir une signification plus large qui ne se limite pas aux infractions de nature pénale ou quasi pénale, l’alinéa 178(1)a) ne pouvait pas s’appliquer aux ordonnances de la Commission, puisque ces ordonnances ne sont pas « rendues par un tribunal ».
La Cour suprême s’est ensuite penchée sur l’alinéa 178(1)e) qui prévoit que le failli n’est pas non plus libéré de « toute dette ou obligation résultant de l’obtention de biens ou de services par des faux-semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits ». Selon la Cour suprême, pour déterminer si une dette survit en application de l’alinéa 178(1)e), le créancier demandeur doit établir les éléments suivants :
- Il y a eu faux‑semblants ou présentation erronée et frauduleuse des faits. Selon la Cour suprême, le fait qu’un organisme administratif conclue à une fraude n’est pas suffisant. Il faut que ce soit un tribunal qui, à la suite d’un examen indépendant de la preuve dans le contexte de l’application de l’alinéa 178(1)e), conclue à l’existence d’une fraude. Le tribunal peut se fonder sur un examen du dossier.
- Il y a eu transmission de biens ou fourniture de services. Il n’est pas nécessaire que le failli soit le destinataire des biens ou des services. Il suffit que le failli ait incité une personne à fournir des biens ou des services à quelqu’un.
- La dette ou l’obligation « résulte directement » de la présentation erronée et frauduleuse des faits ou des faux semblants. Cette exigence est plus stricte que celle qui se rattache aux expressions « quant à », « en lien avec » ou « relativement à ». Bien que le lien doive être direct, il n’est pas nécessaire que le créancier demandeur soit la victime directe.
La décision dans l’affaire Poonian était axée sur l’interprétation par la Cour suprême du lien de causalité exigé à la troisième étape du test (c’est-à-dire la signification de l’expression « résultant de »).
Les juges majoritaires de la Cour suprême ont considéré que les SAP imposées par la Commission ne subsistaient pas, parce qu’elles ne résultaient pas de la fraude commise par les Poonian. Ils ont interprété l’expression « résultant de » comme signifiant que l’alinéa 178(1)e) ne s’applique qu’aux comportements moralement répréhensibles qui donnent lieu à une dette, et non simplement aux comportements moralement répréhensibles. Par conséquent, l’alinéa 178(1)e) exige un lien de causalité strict ou direct entre la naissance de la dette ou de l’obligation et la tromperie du débiteur.
Toutefois, en appliquant ce même raisonnement, la Cour suprême a conclu que les ordonnances de remboursement pouvaient subsister après la faillite, en application de l’alinéa 178(1)e), car ces dettes représentaient les fruits du stratagème frauduleux des Poonian. Par conséquent, ces ordonnances « résultaient » de leur manipulation du marché. La Cour suprême a également souligné qu’il existait un mécanisme permettant aux investisseurs lésés de recevoir les sommes versées à la Commission au titre des ordonnances de remboursement. Les investisseurs victimes pourraient donc être les destinataires ultimes des sommes remises.
Orientations générales de la Cour suprême sur le paragraphe 178(1)
Si l’arrêt Poonian apporte quelques précisions quant à la nature des dettes qui subsistent généralement après une faillite, plusieurs questions restent en suspens.
L’approche adoptée par la Cour suprême pour interpréter les exemptions prévues au paragraphe 178(1) peut être décrite comme restrictive, mais pas trop. Ces exemptions doivent être interprétées de manière restrictive, étant donné que les tribunaux n’ont aucun pouvoir discrétionnaire quant à leur application et que la réhabilitation des débiteurs est plus difficile lorsque davantage de créances subsistent malgré une faillite. Toutefois, la Cour suprême a pris soin de ne pas interpréter les exemptions du paragraphe 178(1) de manière trop restrictive, au point de les vider de leur sens. L’interprétation des exemptions doit demeurer liée au libellé de l’exemption et être conforme aux autres principes d’interprétation des lois. Bien que les juges majoritaires aient conclu que le paragraphe 178(1) ne doit pas être interprété en fonction de son objet, l’approche de la Cour suprême rejoint ce qu’a indiqué le juge Willcock dans l’arrêt Poonian de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique : il faut interpréter les exemptions de manière restrictive tout en donnant effet aux intentions du Parlement, telles qu’elles ressortent clairement de la législation.
Toutefois, la question de savoir ce qui est restrictif, mais pas trop, demeure, en particulier parce qu’il n’y a pas de consensus parmi les tribunaux sur l’existence, le cas échéant, d’une raison d’être globale des exemptions de l’article 178(1). Dans l’arrêt Poonian, la Cour suprême ne s’est pas interrogée sur la raison d’être globale de toutes les exemptions prévues au paragraphe 178(1), mais elle s’est penchée sur la question de savoir si l’alinéa 178(1)e) en particulier en avait une. Dans son jugement dissident, la juge Karakatsanis a estimé que l’intention de l’alinéa 178(1)e) était d’empêcher les débiteurs malhonnêtes de tirer profit de leur malhonnêteté, alors que les juges majoritaires (dont la position l’a emporté) ont adopté une approche plus circonscrite quant à l’objet de l’alinéa 178(1)e).
Faute d’explication claire de la Cour suprême quant au rôle que les exemptions prévues au paragraphe 178(1) sont censées jouer, les tribunaux inférieurs ne disposent d’aucun outil efficace pour juger de ce qu’est une interprétation adéquatement restrictive.
Incidence pour les syndics autorisés en insolvabilité
L’arrêt Poonian de la Cour suprême résout le conflit qui existait entre une décision rendue en Alberta (dans l’affaire Hennig) et une décision rendue en Colombie-Britannique (dans l’affaire Poonian) et clarifie la portée et la signification des alinéas 178(1)a) et e). Il sera utile aux syndics autorisés en insolvabilité lorsqu’ils indiqueront aux faillis s’ils seront libérés ou non des dettes résultant d’ordonnances administratives.
Bien que le failli soit libéré des SAP après une ordonnance de libération de faillite, les conduites fautives donnant lieu à des SAP peuvent être visées par les faits énumérés à l’article 173 de la LFI. Les motifs de la Cour suprême accentuent sans doute l’obligation qu’ont les tribunaux de tenir compte d’une telle conduite lorsqu’ils déterminent les conditions d’octroi d’une ordonnance de libération conditionnelle ou suspendue ou qu’ils rejettent une demande de libération.
L’affaire Poonian donne également des indications sur l’approche générale que les tribunaux adopteront à l’égard de la question de savoir si des dettes subsistent en application du paragraphe 178(1).
La Cour suprême entendra une autre affaire concernant l’interprétation des exemptions prévues au paragraphe 178(1) le 5 novembre 2024 dans Piekut c. Canada (ministre du Revenu national). L’affaire Piekut soulève la question de l’interprétation de l’alinéa 178(1)g) concernant l’exemption des dettes découlant des prêts étudiants. L’ACPIR sera la seule intervenante du secteur de l’insolvabilité dans cette affaire.