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La fin de la guerre économique est-elle en vue?
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Par Douglas Porter, CFA, économiste en chef et premier directeur général et Sal Guatieri, directeur et économiste principal, BMO Groupe financier
Plusieurs grands partenaires commerciaux des États-Unis, dont des puissances comme l’Union européenne, le Japon, la Corée du Sud et le Royaume-Uni, sont parvenus à une entente avec la Maison-Blanche. À l’exception du Royaume-Uni, qui a écopé de droits de douane de 10 %, les autres régions se voient imposer des taux variant de 15 % à 20 %. En contrepartie, elles se sont engagées à injecter des centaines de milliards de dollars en investissements directs américains et à accroître leurs achats de produits fabriqués aux États-Unis. En parallèle, plus de 60 pays ont été frappés de droits de réciprocité révisés allant de 15 % à 41 %. Quant à leurs autres partenaires, y compris ceux avec lesquels ils affichent pourtant des excédents commerciaux, ils demeurent assujettis à des droits de base d’au moins 10 %.
Bien entendu, aucune de ces ententes n’est gravée dans le marbre : elles pourraient toutes être remises en question du jour au lendemain. Par ailleurs, les tribunaux américains pourraient juger certains droits de douane illégaux, mais l’Administration demeure habilitée à en imposer en vertu d’autres lois commerciales. Il convient de rappeler que les États-Unis n’ont pas encore scellé d’entente avec trois partenaires commerciaux majeurs : le Canada (toujours plongé dans l’incertitude), le Mexique (qui a obtenu un sursis de 90 jours) et la Chine (dont l’échéance du 12 novembre approche inexorablement). Pendant ce temps, la Maison-Blanche a imposé des droits de douane de 50 % sur certains produits de cuivre, tandis que des enquêtes se poursuivent dans huit autres secteurs, dont ceux du bois d’œuvre, des micropuces et des produits pharmaceutiques. Tout porte à croire que nous ne sommes encore qu’à mi-parcours, et que de nouveaux rebondissements sont à prévoir. Les entreprises qui espéraient obtenir des éclaircissements avant de prendre des décisions de recrutement et d’investissement devront s’armer de patience.
Quelles répercussions ce climat commercial aura-t-il sur les perspectives économiques? Aux États-Unis, les premiers signes de ralentissement sont apparus dans les données dites « subjectives », et ils se trouvent désormais confirmés par les données « objectives ». Plus particulièrement, l’emploi a connu un net ralentissement. Au cours des cinq derniers mois, les effectifs du secteur privé non agricole n’ont progressé en moyenne que de 80 000 personnes, ce qui constitue (outre la pandémie) la deuxième plus faible hausse enregistrée depuis 2010. Sans la vigueur des embauches dans les domaines de la santé et des services sociaux, la création d’emplois aurait pratiquement stagné, un nombre croissant de secteurs venant s’ajouter aux fabricants parmi les destructeurs nets d’emplois.
Si le taux de chômage s’est maintenu à 4,2 % au cours de la dernière année (un niveau qui correspond pratiquement au « plein emploi »), cette stabilité s’explique par le ralentissement de la croissance de la main-d’œuvre, attribuable au durcissement des politiques d’immigration. L’affaiblissement simultané de la demande et de l’offre de travailleurs témoigne d’un marché du travail atone. La baisse de la demande de main-d’œuvre s’explique moins par des licenciements, dont le volume demeure relativement normal après les compressions passées dans la fonction publique fédérale, que par la stagnation des embauches, laquelle, selon les enquêtes auprès des entreprises, découle en partie de l’instabilité des politiques commerciales. Le chômage de longue durée a ainsi atteint son niveau le plus élevé depuis 2017 (hors pandémie).
Une croissance modeste devrait se maintenir au second semestre de 2025. Avec un taux effectif moyen des droits de douane sur les importations américaines avoisinant 18 %, contre un peu plus de 2 % l’an dernier, la progression de l’économie devrait être amputée de près d’un point de pourcentage par rapport à son potentiel. Un tel niveau d’« imposition » pourrait rapporter près de 400 milliards de dollars à l’État, mais une partie de la facture sera assumée par les consommateurs. Jusqu’à présent, les entreprises se sont montrées réticentes à répercuter intégralement les droits de douane sur leurs clients, de crainte de perdre des parts de marché (les groupes GM et Ford, par exemple, ont chacun annoncé une baisse de leurs revenus trimestriels de près d’un milliard de dollars). Cependant, les entreprises ne peuvent pas absorber de telles pertes indéfiniment, d’autant que les droits de douane semblent appelés à durer. Les expulsions, la hausse des remboursements de prêts étudiants pour des millions d’emprunteurs et les effets des compressions du département américain de l’efficacité gouvernementale (DOGE) viendront accentuer ce frein à la croissance. Dans l’ensemble, nous anticipons une croissance du PIB de 1,7 % cette année, ce qui représente un recul de plus d’un point de pourcentage par rapport à l’an dernier, et une croissance légèrement en deçà du potentiel à long terme.
Même si les tensions commerciales devaient s’apaiser, la croissance économique devrait demeurer modeste en 2026, à 1,6 %. Un allègement de l’incertitude liée au commerce pourrait néanmoins raviver des investissements différés, soutenus par la déréglementation et par la déduction immédiate et intégrale des dépenses prévue dans la loi One Big Beautiful Bill Act. Les dépenses fédérales progresseront pour la défense et le contrôle des frontières, mais reculeront pour les soins de santé, les prêts étudiants et les coupons alimentaires. Un déficit budgétaire de près de 7 % du PIB (du jamais vu en dehors des périodes de guerre, de récession et de pandémie) ne pourra que donner un nouveau souffle à l’économie.
La politique monétaire paraît, elle aussi, appelée à contribuer au soutien de l’économie. Après avoir abaissé ses taux d’un point de pourcentage l’an dernier, la Réserve fédérale a maintenu une orientation modérément restrictive, en raison d’une inflation jugée « quelque peu élevée », d’une croissance économique restée solide (jusqu’à récemment) et de l’incertitude liée aux politiques commerciales. Les récentes déclarations du président Powell laissent toutefois entrevoir une reprise de l’assouplissement monétaire. Avec le ralentissement du marché de l’emploi, la Réserve fédérale devrait se sentir contrainte d’ignorer une éventuelle poussée temporaire de l’inflation liée aux droits de douane. En réalité, malgré le tumulte suscité par le président Powell, son mandat prendra fin en mai 2026. D’ici le printemps prochain, la Réserve devrait accueillir un nouveau président, vraisemblablement plus enclin à la négociation et au compromis. De nouvelles baisses de taux sont anticipées, ce qui pourrait ramener le taux des fonds fédéraux sous la barre des 3 % d’ici la fin de 2026, le plaçant ainsi en territoire légèrement accommodant.
En ce qui concerne les perspectives économiques canadiennes, le Canada a été frappé d’un droit de douane de 35 % sur le « fentanyl » (au lieu des 25 % initialement prévus) sans bénéficier d’aucun allègement sectoriel. Toutefois, le taux effectif moyen des droits de douane sur ses expéditions vers les États-Unis n’a que légèrement augmenté pour atteindre environ 6 %, cette mesure ne s’appliquant qu’à une faible part des marchandises (estimée à moins de 10 %) non conformes à l’AEUMC. À l’exception de l’acier et de l’aluminium (frappés de droits de 50 %) ainsi que des véhicules à moteur (25 %, mais réduits de moitié environ grâce à la dérogation liée au contenu américain), la plupart des marchandises (peut-être plus de 90 %) continuent d’être expédiées en franchise de droits vers les États-Unis. Il est crucial que le Canada renégocie l’accord de libre-échange lors de l’examen formel prévu l’an prochain, car si les États-Unis venaient à se retirer de l’accord après un préavis de six mois, l’économie canadienne pourrait basculer dans une profonde récession.
Nous estimons désormais que l’économie canadienne devrait éviter une récession « technique » (deux trimestres consécutifs de contraction), en se maintenant au troisième trimestre, puis en progressant à un rythme annualisé de 1,5 % au quatrième. Les consommateurs font preuve d’une certaine résilience, les ventes au détail étant restées stables durant l’été. Les records boursiers, la croissance des revenus et la baisse des coûts d’emprunt contribuent à soutenir cette dynamique. Celle-ci allège le fardeau du service de la dette, porté à des niveaux sans précédent, et atténue les répercussions du renouvellement des prêts hypothécaires. Bien que le chômage ait augmenté, cette évolution tient en grande partie à la forte croissance démographique observée auparavant, désormais en ralentissement. Les créations nettes d’emplois se sont élevées en moyenne à 15 000 par mois cette année, un rythme proche de la norme à long terme, mais en recul marqué par rapport aux 32 000 emplois enregistrés en 2024. La réduction de l’impôt sur le revenu des particuliers, le mouvement « Acheter canadien » et la reprise du tourisme international, dans un contexte de contrôles frontaliers plus stricts aux États-Unis, constituent autant de leviers de soutien pour l’économie. L’économie devrait encore se raffermir en 2026, portée par la baisse des taux d’intérêt, l’augmentation des investissements fédéraux dans les infrastructures, les logements et l’armée, ainsi que par le soutien financier accordé aux secteurs touchés par les droits de douane. Les initiatives destinées à accélérer les projets énergétiques et miniers et à éliminer les obstacles au commerce interprovincial contribueront également à renforcer cette dynamique. Dans l’ensemble, le PIB réel devrait progresser de 1,3 % en 2025, puis de 1,4 % en 2026, soit des rythmes de croissance légèrement en deçà du potentiel économique et du niveau atteint l’an dernier.
Malgré le ralentissement de la croissance démographique, les ventes de logements reprennent de la vigueur. Les conditions du marché demeurent toutefois très contrastées : en Ontario et en Colombie-Britannique, les acheteurs gardent l’avantage et tirent les prix à la baisse, tandis que dans les Prairies, au Canada atlantique et au Québec, ce sont les vendeurs qui dominent, les prix atteignant de nouveaux sommets (notamment dans la ville de Québec, où ils ont bondi de 15 % d’une année sur l’autre). Les ventes devraient enregistrer une légère hausse à la suite de l’adoption, par le gouvernement fédéral, d’une loi visant à réduire la TPS sur les logements neufs destinés aux acheteurs d’une première propriété.
L’inflation de l’IPC global demeure faible, légèrement sous la barre des 2 %, en partie grâce à la suppression de la taxe carbone à la consommation. L’inflation sous-jacente, elle, s’établit toutefois autour de 2,5 %, selon la Banque du Canada. Malgré tout, nous prévoyons une inflation moyenne d’environ 2,0 % cette année et l’an prochain, la hausse du chômage compensant l’effet des droits de douane de rétorsion, dont l’ampleur demeure limitée. L’atonie du marché du travail se manifeste déjà par un taux d’emplois vacants ramené à son plus bas niveau en huit ans.
L’inflation de base, encore élevée, place la barre très haut pour une nouvelle baisse des taux de la Banque du Canada. Toutefois, la hausse attendue du chômage pourrait pousser la Banque à sortir de sa réserve dès cet automne, à condition que l’IPC de base se modère d’ici là. Des réductions cumulées de 75 points de base d’ici le printemps 2026 ramèneraient le taux directeur à 2,0 %, un niveau jugé modérément stimulant. Si la Réserve fédérale assouplit sa politique monétaire plus que ne le fera la Banque du Canada l’an prochain, et à condition qu’aucun écueil commercial majeur ne survienne en cours de route, le dollar canadien pourrait regagner légèrement du terrain pour atteindre 75 cents d’ici la fin de 2026.

